Rencontre avec Alice Amanieu et Marie Gambaro, les deux comédiennes et musiciennes, créatrices de la Compagnie Betty Blues.
J’avais déjà assisté à deux des créations d’Alice et Marie, Aïe Aïe Aïe ! et La Loi de la jungle, qui mêlent théâtre, chansons et musique. Leur énergie, leur slogan « changer le monde ! », leur bonne humeur, me sont restés en tête. Voilà pourquoi je suis partie rencontrer les filles dans leur local « Akasha théâtre », situé cours Édouard Vaillant. A la fois amies et collègues, leur complicité est évidente, même en interview…
Comment est née la compagnie ?
Alice : La compagnie est née en 2009. Marie et moi faisions partie de la même formation de théâtre, qui était ici, au local « Akasha théâtre ». On s’est rendu compte qu’on était à la fac ensemble et qu’on faisait toutes les deux de la musique…alors on s’est dit qu’il fallait faire un truc !
Marie : La formation était très sérieuse : à la fin on devait faire un spectacle, très sérieux lui aussi, qui nous a mis beaucoup de pression. Alors pour se détendre, on a pensé à faire quelque chose de moins « prise de tête » toutes les deux, une création qui mêlerait musique et théâtre. On a joué tout l’été avec des copains, en faisant une tournée des jardins. A l’issue de cette tournée, on a eu l’idée de monter la compagnie Betty Blues.
Vous avez alors fonctionné comme un duo pendant un moment…comment s’organise-t-on à deux ?
Alice : On a tout créé à deux, alors on a dû se former à plein de choses annexes, comme la gestion, la comptabilité, l’administration, la diffusion, etc. C’est seulement depuis 2016 qu’on a commencé à déléguer à d’autres personnes.
Marie : Par rapport au fonctionnement à deux, au début, on faisait vraiment tout ensemble. Puis, on s’est rendu compte que c’était plus simple de se répartir les tâches, tout en gardant notre complémentarité ! Ce qui fait qu’on ne se marche pas dessus et qu’on continue de s’apporter mutuellement, tant artistiquement qu’au niveau de l’organisation.
Alice : Et puis, on a plusieurs choses en commun aussi : la passion, la hargne, le fait de ne pas baisser les bras. Ou alors, quand l’une se décourage, l’autre est là pour la relever !
Comment définiriez-vous votre activité, qui mêle à la fois théâtre, musique et chant ?
Alice : Notre théâtre est avant tout des créations pluridisciplinaires, qui allient nos rôles de comédiennes et de musiciennes. Surtout, on défend un théâtre populaire, dans le sens noble du terme, c’est-à-dire accessible à tous, intelligent et de qualité.
Marie : Et drôle, joyeux, sensible…tout en évoquant des sujets pas forcément très drôles ! C’est un vrai parti pris d’aller vers la vie et de défendre un théâtre qui parle d’horizons, d’espoirs, en proposant des solutions pour vivre tous ensemble, malgré nos désaccords. On fait des spectacles pour rassembler.
C’est presque du théâtre engagé finalement ?
Alice : Oui ! D’ailleurs, un de nos spectacles, La Loi de la jungle, a été conçu pour « changer le monde » !
D’ailleurs, est-ce qu’on peut dire qu’il y a une forme de continuité dans vos sujets ? Le premier spectacle Aïe, aïe, aïe ! est féministe, et le deuxième La Loi de la jungle évoque le monde capitaliste, productif, et nocif pour l’environnement…
Alice : En fait, on part du constat que le monde dans lequel on vit n’est pas facile tous les jours, notamment le monde du travail : on fonctionne en termes de rentabilité, de flexibilité, on impose la toute-puissance de l’argent…
Marie : Tous ces sujets qu’on aborde, le féminisme, l’anticapitalisme, etc. vont ensemble : à partir du moment où on pense le monde d’une certaine manière, avec le désir de repenser le vivre ensemble, de réduire les injustices, on s’introduit dans cette vision du monde par un thème – nous avec le féminisme – et ensuite, tous les autres thèmes en découlent, et se répondent.
Alice : Quant à l’écologie, en revanche, on l’évoque plus dans notre spectacle pour les enfants, Miss Terre.
Justement, aviez –vous ce désir de vous diriger vers un public plus jeune, et de proposer une manière alternative de l’éduquer ?
Marie : Ce désir-là est venu d’un événement personnel : je suis tombée enceinte ! Donc forcément, on s’interroge plus sur les enfants, leur manière de voir le monde. Bizarrement, alors que nos deux premiers spectacles, Aïe, aïe, aïe ! et La loi de la jungle ne sont pas des spectacles pour jeune public, les enfants adhèrent vraiment ! On s’est toujours demandé ce qu’ils en retiraient…Peu à peu, on s’est dit qu’on pouvait être acteur du changement du monde dès notre plus jeune âge, d’où l’idée de créer une pièce spécialement pour les enfants.
Vous jouez surtout dans la région…ce choix participe-t-il de la dimension quasi politique que vous revendiquez ?
Alice : C’est du théâtre local effectivement. Déjà, parce qu’on a plus de facilité à jouer dans la région, pour une question de contacts…
Marie : Et puis, en général, quand on parle du métier de comédienne, on nous dit toujours qu’il faut monter à Paris, passer à la télé, etc., mais on n’est pas du tout intéressées par ça ! Beaucoup de gens ne comprennent pas que l’on veuille faire ce métier autrement que pour être une star. Or, être des stars n’est pas notre ambition. Même si, bien sûr, on a envie d’être reconnues dans ce métier, d’avoir du public…mais toujours au niveau local. Notre but n’est pas de nous faire voir, mais plutôt d’apporter quelque chose, du spectacle vivant sur le territoire, comme le font les troupes de théâtre itinérantes, par exemple celle de Molière qui passait par les villages, qui créait des moments avec le public.
Alice : En fait, c’est un engagement en faveur de ce que les Parisiens appellent « les provinces ». On veut montrer que dans ces « provinces », il y a de la place, autant qu’à Paris ! Il y a des centres culturels, des festivals, des communautés de communes qui ont besoin de spectacle vivant, différent du théâtre plus conceptuel, et qui parle à tous.
Marie : Et la culture ne peut pas se réduire aux grands noms, aux grandes salles… On cherche plutôt à être « tout-terrain » en quelque sorte : on peut obtenir tout ce dont on a besoin dans une petite salle, en extérieur, etc. Aux gens qui auraient peur de s’ennuyer au théâtre ou qui pensent que la « culture » (d’ailleurs, on ne sait pas très bien ce qu’on met derrière ce mot) n’est pas pour eux, on veut montrer que cette même culture peut leur appartenir aussi ! Pour nous, la culture est accessible à tous.
Vous faites aussi de la médiation artistique…
Marie : Oui, on a fait pendant très longtemps des ateliers. Je continue d’animer une troupe amateur, j’écris des pièces pour eux à partir d’improvisations. On fait aussi des ateliers ponctuels pour différents publics : l’an dernier, on a travaillé avec un public d’un IME, un institut médico-éducatif, qui accueille des jeunes handicapés mentaux et parfois physiques. On a travaillé autour de la poésie, de la question de la différence, le tout en chansons. On travaille aussi avec des jeunes en difficulté, issus de l’AED, autour de la thématique de l’adolescence et des difficultés à devenir soi-même, notamment à cause de la pression sociale. D’ailleurs, pour notre prochain spectacle, on aimerait réunir ces deux pans qui font l’ADN de la compagnie, à savoir la transmission et la création : on a envie, à partir de nos actions de médiation, de récolter des paroles de publics différents pour créer un spectacle…un gros projet en somme ! Cela rejoint finalement notre vision d’un théâtre et d’une éducation populaires dans la mesure où on va chercher le savoir « chaud », directement auprès des gens et de leur expérience.
Alice : On répond aussi à des commandes parfois. L’an dernier, la crèche familiale de Cestas nous a contactées en nous proposant de faire un spectacle pour fêter leurs 40 ans. A cette occasion, on a récolté les paroles de tous les acteurs de la crèche (équipe encadrante, assistantes maternelles, parents, enfants…), qui ont servi de supports pour la création du spectacle. Cette façon d’essayer de comprendre les gens et leur environnement, et de créer à partir de cela, nous plaît de plus en plus. On tient à valoriser les personnes au sein d’une équipe, à fédérer tout le monde…
Marie : Oui, la médiation que l’on propose permet aux gens de se rencontrer, d’échanger, de (ré)apprendre à penser collectivement.
Malgré les chansons que vous interprétez sur scène, qui nécessitent de connaître le texte par cœur, vous laissez-vous de la place pour l’improvisation ?
Alice : C’est vrai que nos textes sont très travaillés, c’est un peu de la dentelle. Mais effectivement, en fonction du public qu’on a en face, on peut réagir différemment chaque fois et se permettre une part d’improvisation. Par exemple, si quelqu’un arrive en retard dans la salle, on peut le souligner de façon drôle…En revanche, cela reste toujours des petites improvisations, on ne peut pas se permettre de partir loin.
Marie : Après, on peut peut-être considérer qu’on est en improvisation dans le sens où, quand on interprète sur scène, c’est toujours à un moment particulier et unique. Chaque représentation est différente, même si ce sont toujours les mêmes paroles, les mêmes chansons. C’est du spectacle vivant en somme !
Peut-on vous retrouver bientôt sur scène ?
Marie : On va participer aux Scènes d’été. On jouera dans la Gironde pour une dizaine de dates, notamment pour Fest’arts à Libourne, où on présentera La loi de la jungle.
Enfin, pourquoi ce nom de « Betty Blues » ? Pour lutter contre le blues ?
Ensemble : Oui !
Marie : Et on trouvait que les deux mots « betty » et « blues » sonnaient bien ensemble. On choisit des sujets assez déprimants, mais on les joue pour ne pas tomber dans le blues justement !
Alice : Souvent, des gens nous disent qu’avant de venir à nos spectacles, ils n’allaient pas très bien, et une fois le spectacle terminé, ils avaient la pêche ! Tout en se rendant compte que nos sujets donnent matière à réflexion…
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Si vous aussi, vous avez envie de changer le monde, de mener une révolution contre l’exigence de rapidité, de productivité, de stress, et que vous ne savez pas trop par où commencer, venez retrouver Alice et Marie sur scène, ou bien directement dans vos oreilles ! En effet, elles sont maintenant en écoute sur les plateformes Deezer, Spotify, Itunes et Napster.
Site web : http://www.bettyblues.net/fr/