Baptiste Amann : « Mon rapport à la forme n’est pas cérébral ou conceptuel, il est brut, naïf, ludique. »

 

Il nous avait emporté lors de la présentation de sa pièce « Des territoires (nous sifflerons « La marseillaise ») » au Glob Théâtre en 2016. Il revient cette année au TNBA. Interview de Baptiste Amann, auteur et comédien fraichement Bordelisé !

Happe:n: Cette semaine va se jouer « Des territoires » au TNBA, premier volet d’une trilogie, comment cette aventure a commencé ?

Baptiste Amann: Cela a commencé par la rencontre d’un groupe d’acteurs, avec qui j’ai partagé la même formation au sein de l’ERAC de 2004 à 2007. Ce sont eux qui m’ont véritablement « autorisé » à écrire. J’ai écrit cette pièce pour quatre d’entre eux, avec la volonté de se lancer dans une aventure sur plusieurs années. Un véritable projet de vie, plus qu’un projet de plus. J’ai alors imaginé cette trilogie .

Quel est le thème principal de cette pièce et quel est le thème global de ta trilogie ?

La pièce se passe dans le pavillon témoin d’une résidence HLM au sein duquel se réunissent trois frères et leur sœur au moment de la mort de leurs parents. Ils doivent s’occuper de l’enterrement, gèrent l’administration de l’héritage car se pose aussi la question de la revente du pavillon… Jusqu’à ce qu’ils apprennent que des ossements humains ont été découvert dans leur jardin. La donne change.
C’est une pièce où les problématiques liées à la famille entrent en collision avec celles de la société, où les enjeux du quotidien croisent ceux de la grande Histoire… C’est une réflexion également sur la mémoire, l’héritage, l’engagement.
Chacune des pièces est traversée par un anachronisme. Le premier volet aborde la Révolution Française à travers la figure de Condorcet. Le deuxième évoque la Commune de Paris. Et le troisième traitera de la Révolution Algérienne. La trilogie est donc organisée selon une double temporalité. Une qui avance au jour le jour, où l’on suit la fratrie la veille de l’enterrement, puis le jour de l’enterrement et enfin le lendemain de l’enterrement de leur parent. Et celle qui suit les anachronismes, qui eux avancent siècles après siècles (18ème, 19ème, 20ème). Ainsi le projet tente d’encercler une problématique qui résonne aujourd’hui comme une inquiétude personnelle : quels types de révolutions appellera le 21ème siècle.

Qu’est ce qui t’as amené vers l’écriture ?

Je pense avoir toujours plus ou moins écrit. Ce qui m’a amené vers l’écriture théâtral, c’est l’envie de faire des spectacles. Ni plus, ni moins. Pratiquer autrement mon métier d’acteur.

Comment décrirais-tu ton style d’écriture?

Justement j’écris comme un acteur, pour des acteurs. C’est à dire que j’ai la sensation de « donner la réplique ». J’écris un théâtre de situation, relativement classique dans sa forme, mais très hétérogène dans la langue. Le spectre du registre de langage va de la conversation triviale au poème pur. Mon rapport à la forme n’est pas cérébral ou conceptuel, il est brut, naïf, ludique. Mes moteurs sont les appuis de jeu offerts aux comédiens, le parcours que chacun va pouvoir construire, l’équilibre entre les figures en présence. Le travail que je mène ne se pose pas les questions d’un écrivain de théâtre. Il pose celles de l’acteur. Pourquoi je vais dire ça, à ce moment là ? A cause de quoi ? En réponse à quoi ? Et d’ailleurs ce que je dis, est-ce que je le pense vraiment ? Et ce que elle/lui vient de me dire, est-ce que je l’ai bien entendu ?
La question de l’histoire, du personnage, n’est pas un problème puisque j’écris pour des acteurs, qui souvent porteront le nom de leurs personnages. Il n’y a pas de conflit chez moi à assumer la fiction, car elle est enchevêtrée à un principe de réalité. Le texte est un prétexte. Un prétexte au spectacle. Il y a déjà de la mise en scène dans l’écriture.

Comment travailles-tu au plateau avec les comédiens ?

Quand on rentre en répétition le texte est fini. On ne le retouche pratiquement pas. Ce qui me permet d’avoir le regard rivé sur la situation. Puisque j’ai écrit pour eux, et que cela fait bientôt treize ans que nous travaillons ensemble, je ne fais pas beaucoup de travail dramaturgique avec les acteurs. Ça joue tout de suite. Même lors des premières lectures. Les questions émergent ensuite, alors vient le temps d’y répondre. Mais je préfère m’adosser à la part instinctive des interprètes, que je considère être la vraie intelligence de l’acteur.

Tu fais parti d’un collectif, « L’outil », qui présente un fonctionnement particulier, peux-tu nous le décrire ?
Nous avons créé cet « outil » administratif en 2010 avec trois autres membres de ma promotion de l’ERAC: Solal Bouloudnine, Victor Lenoble et Olivier Veillon. Nous fonctionnons selon un principe de metteur en scène tournant. Chacun peut être soit porteur de projet soit au service du projet d’un autre. Il n’y a pas de ligne artistique définie. Nos goûts sont très différents parfois même contradictoires. C’est cela qui nous intéresse, ne pas nous enfermer dans un savoir faire ou une chapelle esthétique. Nous nous laissons libres aussi de vivre d’autres aventures ailleurs. Nous considérons que ce qui fait « collectif » est moins le serment de ne jamais se quitter, que le plaisir que nous éprouvons à revenir chaque fois. Nous sommes implantés en Bourgogne. Deux d’entre nous, Olivier et Victor y vivent à l’année, dans une maison à la campagne, dans un tout petit village, Saint-Germain-le-Rocheux. Là bas ils organisent chaque année un petit Festival, sur deux jours. L’année dernière, ils ont accueilli « L’effet de Serge » de Philippe Quesne, Noëlle Renaude a fait une lecture de son texte « Promenade », mais aussi des concerts, des performances, une expo d’art brut d’André Robillard.
Je vais bientôt créer une structure à Bordeaux « L’annexe » qui fonctionnera comme son nom l’indique comme une annexe de l’Outil, et qui abritera la production de mes spectacles. C’est une étape nouvelle de notre histoire, avec un lien étroit dans le fonctionnement de ces deux structures.

Quels sont les sujets qui t’intéressent au théâtre ?

Aucun. Ce n’est jamais par le sujet que se construit mon intérêt. Au théâtre ce sont les acteurs que je regarde en premier.

Une pièce qui t’as marqué ?

Ah la question piège… On est toujours tenté de faire le malin! Bon, si je suis sincère, la première que j’ai vu pendant ma formation: « La chambre d’Isabella » de Jan Lauwers. Je connaissais pas grand chose au théâtre. J’ai aimé cette pièce, naïvement, spontanément, pleinement.

Une musique que tu écoutes en boucle ?

En ce moment, « Le Carnaval des animaux », grâce à ma fille de deux ans et demi.

Tu es installé depuis peu sur Bordeaux, quelle est ta vision de la création bordelaise ?

J’ai l’impression qu’il y a une belle dynamique, notamment chez les jeunes équipes. Et pourtant, les lieux consacrés à la création contemporaine ne sont pas nombreux, quand il ne ferment pas tout bonnement. Il est donc difficile pour elles de montrer leur travail dans de bonnes conditions. Je ne maîtrise pas bien le sujet mais cette contradiction est très étrange quand on voit l’attractivité que connaît la ville, et le bénéfice culturel que pourrait constituer un soutien à la création contemporaine plus manifeste. Les forces vives sont là. Ce serait dommage de laisser s’épuiser, ou de contraindre à l’exil, toute une génération de jeunes créateurs Bordelais, mais aussi tous ceux qui depuis des années développent des projets hors cadre institutionnel. Les villes meurent si elles deviennent des musées à leur propre gloire, des vitrines promotionnelles faisant office de faire valoir.

« Des territoires » (nous sifflerons la marseillaise) c’est du 10 au 14 Avril au TNBA
http://www.tnba.org/evenements/des-territoires-nous-sifflerons-la-marseillaise