Soleil radieux en guise de bienvenue, le festival Échappée Belle m’ouvrait ses portes samedi 3 Juin dernier, pour une journée éblouissante de propositions artistiques azimutées. Retour sur trois spectacles qui étaient programmés pendant cet événement incontournable culturel bordelais, organisé par la Scène Nationale Carré-Colonnes depuis plus de 30 ans.
Francis sauve le monde – Compagnie Victor B
Un camion est garé sur le goudron brûlant et fait face à des rangées de bancs d’écoliers. S’ouvre alors le rideau de fer, une manière d’introduire les comédien.ne.s qui narreront quarante minutes durant, sur le ton de la comptine et de la rigolade, l’histoire de Francis.
Puis ça débute (et débite !). Accrochée dès le départ par le verbe des comédien.ne.s et la flopée de personnages fictifs qui vient se mêler à l’histoire (des centaines de peluches, jouets d’enfants et autres objets insolites habitent ce van devenu théâtre ambulant), je ne loupe pas une miette des épopées du héros Francis, qui n’est rien d’autre qu’un blaireau. Cette toison va si bien au personnage qui nous est conté… Car en plus d’être matérialisé par une peluche aux allures de mustélidé européen, ses agissements font de lui un vrai gros blaireau (tu vois cet idiot antipathique qu’on n’aime pas croiser ?) ! Eh oui, Francis n’est pas un mignon, c’est le genre de type qui couche avec la femme de son meilleur ami, devient fasciste et prend la grosse tête, fait tellement de chirurgie esthétique qu’on ne le reconnait plus. Celui-là aussi, le harceleur sexuel et qui n’a pas honte de l’être. Le Francis de la Compagnie Victor B est une bête cruelle, impitoyable, prise dans le tourbillon d’une société à la dérive.
La fable « trash-kawaii » que nous racontent Elfée Dursen, Simon Wauters et Sébastien Derock est à mourir de rire. C’est grinçant et ça fait un bien fou d’aborder notre réalité sous cet angle-là. Happy ending ou pas, je peux vous dire que j’ai été séduite par l’humour belge de ce trio épatant qui, sous un soleil de plomb, a joué la comédie, chanté à tue-tête, sauté, virevolté, bref excellé, dans cette pièce acerbe qui remet les pieds sur terre.
© Louise Rousseau
L’Iliade – Compagnie Bravache
Cette fois-ci à l’ombre des arbres du Parc de Fongravey, ce sont quatre jeunes comédien.ne.s fraichement sorti.e.s de l’école qui nous proposent d’embarquer avec elles et eux, direction la Grèce antique. Divisé en deux camps rivaux, le public se mue en armées de Troyens et d’Achéens, séparé par une mer Égée matérialisée ce jour-là par un couloir d’herbe sèche de quelques mètres.
Le chronomètre est lancé : trente minutes suffiront à ces artistes à l’énergie folle pour nous faire vivre l’épopée de 27 000 vers qu’imaginait Homère il y a fort longtemps. Didascalies « faites main » sur des bouts de carton, costumes douteux tout droit sortis de nos malles d’enfants et autres éléments en mode « système D » ne terniront en rien la performance que nous offrent Ariane Pelluet, Barthélémy Maymat, Cesare Moretti, Margot Delabouglise. Eh non, car ils sont forts ces jeunes artistes : l’interprétation est digne d’un casting de haut vol, les cascades aussi impressionnantes que celles de blockbusters américains et les effets spéciaux tout autant vertigineux que ceux réalisés par les plus grands. Pourtant, tout est fait en live, avec des bouts de ficelles.
Rythmée à souhait, cette pièce (qu’on a envie de faire durer tellement c’est bien) est jubilatoire. Je ris à gorge déployée et visiblement je ne suis pas la seule. Un feu d’artifice flamboyant dont les flammèches illuminent encore le souvenir de ce moment.
© Louise Rousseau
Bleu tenace – Compagnie Rhizome / Chloé Moglia
Changement d’ambiance avec Bleu tenace, une performance de cirque tout en suspension. Ici, place à la torpeur et à la contemplation. Le regard levé vers le ciel, je me laisse facilement hypnotiser par les mouvements tout en douceur de Mélusine Lavinet-Drouet, perchée à six mètres de hauteur sur un drôle d’agrès bleu pénétrant. Comme toile de fond, les pins du parc blanquefortais jaillissent et je vois en l’acrobate une espèce d’animal doux et serein qui contemple son environnement, imperturbable. Le fracas du monde n’a pas d’impact sur la canopée.
Cet instant en lévitation nous invite à ralentir le rythme, c’est une fenêtre sur un ailleurs qu’il nous suffit d’imaginer. Emportée dans ce rêve teinté de bleu, je repense aussi aux récents feux de forêts qui ont calciné la Gironde l’an passé. Qu’en sera-t-il cette année ?…
© Louise Rousseau
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