Angèle, à la recherche de l’inquiétante étrangeté

Rencontre avec Angèle lors de son exposition à la brasserie des Terres Neuves. Un grand pas pour elle qui expose pour la première fois.

Angèle commence très tôt le dessin, puis évolue ensuite dans le théâtre : un espace de liberté primordial pour qu’elle trouve sa place. Mais sa passion pour le dessin revient au galop, aucune autre pratique artistique ne lui offre une telle sécurité pour pouvoir explorer ses émotions, même les plus profondes. Dès le début de notre échange, j’ai compris qu’elle avait pu découvrir d’autres pratiques comme la danse et la photographie, et que sans le dire explicitement, le dessin était la racine dans laquelle ses autres passions pouvaient prendre vie. Comme si une statue se mettait tout à coup à danser.

Des débuts difficiles.

Son parcours est semé d’embûches, et elle a bien souvent ressenti qu’elle était en décalage par rapport aux autres lorsqu’elle était plus jeune. Son arrivée à sur l’île de la Réunion est chaotique mais peu de temps avant la fin de son séjour elle y découvre le théâtre qui l’aide. De retour en France, elle décide de poursuivre cette voie d’abord au collège Georges Rayet (Floirac) pendant 4 ans, puis au lycée Montesquieu de Bordeaux avec un baccalauréat littéraire option théâtre. Une fois le bac obtenu, il était temps de passer à une autre étape. Après avoir fréquenté une classe présentant un esprit collectif très soudé, elle ne se voyait plus continuer le théâtre. Un changement radical qui l’a emmené à commencer une licence Arts plastiques.

 

« J’ai le souvenir de m’être dit que dans cette formation les gens me comprenaient enfin, car j’ai toujours eu le sentiment d’être en décalage à l’école. Pourtant j’avais de très bons résultats, j’étais bonne élève appréciée des professeurs. Souvent j’imitais les autres, comme un caméléon. Il y a un côté un peu faux là-dedans, mais au théâtre, je n’avais plus cette angoisse car c’est le but de jouer des personnages. Les personnes que je côtoyais me ressemblaient vraiment ; ça m’a beaucoup affecté chaque fois que je quittais un collectif ».

Ces années à la fac l’ont aidé à trouver son style, qui s’inspire de l’art brut mais aussi Gustav Klint ou Egon Schiele. Le côté morbide de ce dernier la fascine d’ailleurs. Mais c’est aussi les dessins animés de Miyazaki, Michel Ocelot qui a fait Kirikou, ou encore Michael Arias avec Amer beton. Elle évolue alors dans une association d’étudiants en arts plastiques, Art’Kileptik, avec laquelle elle organise le festival des Arts Bouilleurs en juin 2014, dont Guy Lafargue est l’hôte (ndlr. dans son musée de l’Art Cru rue Chantecrit désormais transformé en immeuble d’habitation). Ce festival où Arts vivants et Arts visuels se rencontrent, a été une opportunité incroyable pour cette jeune artiste :

« Cet évènement s’est inscrit dans une dynamique de groupe incroyable où, malgré que chacun ait sa personnalité et des productions différentes, on possédait un lien commun, et chacun trouvait vraiment sa place. On a réussi à faire vivre cet endroit où il ne se passait presque plus rien, bien que porteur d’histoire,avec des salles où il y avait encore des anciennes sculptures de Guy Lafargue. C’était bon que chacun, avec nos petites mains, on arrive à faire partager de belles choses au public pendant 4-5 jours consécutifs. Mais personnellement, j’ai pris un gros risque en exposant mes photos pour la première fois car c’était une série qui s’appelait l’Enfant sauvage, où je m’étais prise en photo nue dans la boue, dans la forêt, et c’était très intime. À ce moment-là j’étais très timide. Je n’étais pas le genre de fille qui se mettait beaucoup en avant donc c’était assez brutal pour moi ce contraste entre celle que je suis dans la réalité, et celle que j’ai voulu montrer au travers de mes photos, même si j’en ai eu de très bons retours. En tout cas, ça a été un passage important pour affirmer qui je suis, et accepter de lâcher prise. »

En voyant pour la première fois ses dessins, je me demandais d’où venait son inspiration et ses idées. Ses créations ont une identité qui est certaine, une saveur unique, qui exprime un désordre qui reflète sa conception du monde. Angèle s’inspire de ses propres sentiments, de ce qu’elle voit chez ses proches. Loin de se considérer comme une artiste engagée, elle préfère de loin se décrire comme une artiste brute, franche, inclassable qui partage un avis critique, des non-dits, des tabous. Elle parle aussi de la vie de famille, la sienne, au final des sujets universels qui parlent à tous sans exception.

« J’ai du mal à me situer parmi toutes les préoccupations actuelles de la société, souvent les gens confondent conviction et jugement. C’est pour cela que je préfère m’exprimer sur des sujets qui me parlent directement, surtout que j’ai du mal à séparer l’artiste, de la femme que je suis ».

Les Beaux-Arts

C’est ensuite la décente aux enfers lorsqu’elle débute les Beaux-Arts à Nantes. Elle savait que ça n’était pas l’endroit idéal où faire épanouir son art brut, qu’elle ne parvenait pas à conceptualiser et à expliquer aux autres. Une partie d’elle souhaitait obtenir la validation d’une école aussi emblématique, et ça a été tout le contraire. C’est à ce même moment qu’elle a commencé la danse en collectif, plus précisément le Dancehall : une danse bien ancrée au sol qui l’inspirait aussi pour ses dessins. Pendant trois ans, elle a tout appris de cette culture qui prend racine en Jamaïque, là où elle est d’ailleurs allée se former.

« J’ai fait beaucoup de dessins pendant une période, mais un peu dans l’urgence, comme une sorte de thérapie. Aux Beaux-Arts, j’avais vraiment le sentiment de ne pas être comprise, jusqu’au jour où une professeure a mis le doigt sur quelque chose que je ne parvenais pas moi-même à comprendre. Elle m’a dit que l’Art n’est pas censé résoudre des problèmes. Cela m’a complètement anéantie car mon besoin de dessiner n’était pas en accord avec ce qu’on me disait. Les professeurs me demandaient constamment de prendre des risques, et je ne comprenais pas quel risque il fallait que je prenne. Alors j’ai quitté cette école, à ce moment-là je n’ai pas eu la lucidité de comprendre que je dessinais uniquement pour moi, et qu’il fallait que j’ose partager quelque chose de personnel avec les autres, ce que j’ai réussi à faire cette année en exposant mes œuvres pour la première fois ».

Une première exposition

Pendant un an, elle a mis en pause ses projets, elle n’en avait pas d’autre que celui qu’elle voyait avant de quitter les Beaux-Arts. Mais elle a fait une rencontre qui l’a poussé à continuer malgré qu’elle se sente un peu seule dans son intriguant et plutôt sombre univers artistique. Elle a trouvé un emploi dans une grande surface culturelle et s’est remise à dessiner. A la grande surprise de tous, elle sort des dessins colorés, qui dégagent une autre vitalité, une autre phase de sa vie artistique. Sa rencontre avec un artiste qui expose au Musée de la création franche à Bègles, a précipité ses projets et l’a poussée à partager ses œuvres ; grâce à lui qui croit vraiment en son potentiel. Elle me confie qu’elle a acquis à ce moment-là, la confiance dont elle manquait, et pourtant si nécessaire pour qu’elle décide d’exposer :

« Je pense que ce qui me plaît maintenant, c’est cette période où je me découvre, et que je suis contente d’être celle que je suis. Je me sens guérie et dans l’attente de ce qui va suivre ».

Cette première exposition a duré près de trois semaines, et a rencontré un succès inattendu selon l’artiste. Près de 40 personnes sont venues pour le vernissage et parmi tous les retours qu’elle a eus, la plupart sont positifs et encourageants pour la suite.

la suite ?

Dans cinq ans, elle se verrait travailler de manière indépendante, tout en saisissant des opportunités extérieures, car c’est une liberté qui lui a permis jusqu’ici de créer sans contrainte, mais avec ses limites. Elle aimerait également que son travail puisse aider les autres, quelque chose qu’elle n’envisageait pas avant : « L’artiste Sia est un de mes modèles, elle s’est créé un personnage qui se trouve à un endroit qu’en Art on nomme l’inquiétante étrangeté. Un endroit un peu mystérieux qu’on ne sait pas situer, elle n’est plus vraiment une personne, mais ce n’est pas non plus de l’art figé, et c’est ça que moi je veux explorer au travers de mon art. Puis, se créer un univers permet de rester fidèle à soi-même, même si c’est une sorte de protection, tout en étant commercial, car il ne faut pas se mentir, le but c’est aussi de se vendre. L’idée de mon projet futur, qui pour l’instant est encore au stade d’idée, c’est de partir de mes dessins, et qu’à partir d’eux un univers prenne vie, qu’une illustration ou une fresque se dessine. Cette espèce de transition entre le réel et le figé, où une statue peut se mettre d’un coup à danser, puis la seconde d’après se fondre dans un tableau, m’intéresse énormément. À ça peut s’ajouter la photographie, qui est une autre de mes passions. J’aimerais créer tout un univers, et en quelque sorte donner vie à mes émotions, que je ne gardais jusqu’ici que pour moi, afin qu’elle puisse toucher d’autres personnes ».

« La seule chose qui sépare l’artiste de ce pouvoir d’agir sur le monde et de créer, c’est de croire en lui-même » disait-elle. Il est parfois difficile de trouver sa place et faire entendre aux autres sa conception du monde et de l’art. Angèle nous témoigne cette difficulté, mais elle nous dit aussi que les rencontres bonnes ou mauvaises que nous faisons, permettent de projeter une image de nous-mêmes, bien meilleure et plus claire que la nôtre.

Vous pouvez retrouver Angèle sur facebook, instagram et sur son site perso….