L’ascenseur végétal

En plein cœur du vieux Bordeaux, au 20 rue Bouquière, une librairie à la croisée des chemins a élu domicile depuis quelques mois. Découverte.

Comme on aime bien les bouquins de photo chez Happe:n, on connaissait déjà le site internet depuis un petit moment. Quand on a appris qu’il voulait ouvrir une boutique/galerie à Bordeaux, on s’est dit pourquoi pas. On a assisté au vernissage de la première expo, c’était Théo Gosselin et ça faisait un moment qu’on avait pas vu une telle concentration de mecs tatoués et barbus en jean slim et chemise à carreaux et de filles tatouées et portant un chapeau en feutre à large bord. Et puis on a ensuite appris qu’une nouvelle expo se préparait, « Territoires en Chalosse » de Nicolas Camoisson et Benoît Cary.  Et là on a retrouvé la faune habituelle des vernissages d’expos photos sur Bordeaux. On s’est alors dit qu’un lieu capable d’attirer des publics si différents sur deux expos gagnerait à être mieux connu. On a pris notre dictaphone, notre appareil photo et un rendez-vous avec le proprio et par une après-midi venteuse et pluvieuse, on a poussé la porte de la librairie.

Claude Lemaire, l’homme derrière le lieu était là pour nous accueillir et tailler le bout de gras. On s’est posés et on a démarré une conversation à bâtons rompus…

Des ouvrages présentés à plat, des murs laissés libres, c'est l'ascenseur végétal. © Pierre Lansac pour Happen

Des ouvrages présentés à plat, des murs laissés libres, c’est l’ascenseur végétal. © Pierre Lansac pour Happen

Happe:n : Qui c’est l’Ascenseur Végétal ?

Claude Lemaire : C’est moi. Je suis Claude Lemaire, j’ai fondé l’ascenseur Végétal, il y a trois ans et demi. C’est un site web depuis deux ans et demi et une librairie depuis deux mois et demi. Sinon, j’ai un background sans rapport avec la photo et l’édition, je travaillais dans l’informatique et le commerce international.
En fait, je suis venu au livre photo par intérêt personnel. Cela fait depuis la fin des années 90 que j’achète et que je collectionne des livres photo. Pour faire vivre ma collection, j’ai beaucoup acheté et revendu sur internet, j’ai développé comme ça mon intérêt pour le livre photo et mon intérêt de collectionneur. C’était donc ma vie avant de me lancer dans le projet de l’Ascenseur végétal.

Il t’a fallu presque 15 ans pour te lancer ?

Oui, oui… c’est vrai, mais à cette époque la, je n’avais vraiment pas l’idée de faire libraire. Mon dernier CDI s’est fini en juin 2012, cela faisait déjà une année que j’avais envie de partir et que mon projet murissait.

Quitter le confort d’un CDI pour se lancer, tout le monde ne le fait pas. Il y a eu une ou des rencontres qui t’ont motivé ?

Non ça a vraiment été le fait d’une lente maturation. Mais une fois le projet lancé des amis m’ont aidé. Je suis parti de rien, des amis m’ont hébergé chez eux pendant un an, le temps que je démarre. J’avais déménagé, vendu l’appart que je venais d’acheter donc c’était une toute nouvelle page. Pour ma collection j’achetais déjà beaucoup sur internet des livres de petites maisons d’édition ou des livres auto publiés sur des sites anglophones; comme il n’y avait rien de francophone, j’ai décidé de prendre le créneau.

Le choix des photographes émergents, des petites structures d'éditions et de l'autopublication. © Pierre Lansac pour Happen

Le choix des photographes émergents, des petites structures d’éditions et de l’autopublication. © Pierre Lansac pour Happen

Pourquoi ce choix des petits éditeurs et d’auteurs auto édités ?

Ce n’était pas mon choix initial mais finalement ça m’allait bien à la fois au niveau de la ligne éditoriale de la librairie mais aussi d’un point de vue de la logique commerciale. Jusqu’à il y a deux mois, j’étais pure player, diffusé uniquement en ligne, je ne pouvais pas me permettre de proposer des livres que l’on trouvait partout, je n’aurais pas tenu face à la concurrence d’Amazon et autres. Je me suis donc spécialisé dans les ouvrages qui ne sont pas, ou mal, distribués dans les canaux traditionnels et ça s’est fait dès le début du projet. J’ai rencontré des gens de Paris, Emilie Hallard et Pablo Porlan qui ont fondé le Photobook Club de Paris qui m’ont permis de découvrir ce milieu des photographes émergents et quand j’ai créé l’Ascenseur végétal, ces gens avec qui j’étais devenu ami m’ont permis d’avoir une bonne caisse de résonance notamment via facebook , le réseau social par lequel je fais la majorité de ma communication.

Tu commences en pure player en région parisienne ?

Non, j’ai commencé le site chez les amis qui m’hébergeaient dans le nord de la Dordogne. Rapidement, je me suis installé à Périgueux pendant un an, puis en aout 2014, j’ai posé mes valises à Bordeaux.

Pourquoi Bordeaux ?

Quand j’ai commencé, j’envisageais la possibilité d’ouvrir une librairie si l’affaire fonctionnait. Il me fallait une ville suffisamment grande pour que ça soit commercialement viable. Et puis j’ai habité à Amiens, je trouvais que c’était trop petit et surtout trop au nord donc je voulais aller dans le sud. Il y a avait Toulouse, Bordeaux, Marseille ou Montpellier mais le Sud-Est ne m’attirait pas. J’ai finalement choisi Bordeaux pour sa proximité avec Paris et parce que j’ai de très bons amis ici. Et puis pendant que j’étais en Dordogne je venais régulièrement sur Bordeaux et je connaissais déjà le milieu de la photo sur place.

Tu veux nous parler de ta librairie ?

Donc j’ai ouvert en novembre dernier. Je présente bien sur les livres disponibles sur le site mais la sélection va un peu évoluer pour présenter aussi des ouvrages un peu plus grand public…

On va pouvoir acheter du Yann Arthus Bertrand ?

Ça n’ira peut être pas jusque là mais présenter des artistes plus connus est toujours intéressant pour la personne qui pousse la porte. Les ouvrages plus connus permettront aux gens de rentrer dans la librairie et de découvrir les travaux plus confidentiels.

Le mobilier en partenariat avec DODA. © Pierre Lansac pour Happen

Le mobilier en partenariat avec DODA. © Pierre Lansac pour Happen

Tes goûts personnels sont-ils reflétés dans les livres que l’on trouve ici?

En fait, je suis assez éclectique dans mes gouts et quelque part cela se retrouve dans la librairie puisqu’on trouve des ouvrages et des auteurs très variés.

L’Ascenseur Végétal c’est uniquement des livres?

Non, il y a aussi des expos photos. Les livres sont présentés à plat sur des tables ce qui laisse les murs libres pour des expos. Il y a déjà eu deux expositions et en avril j’accueillerai Guillaume Millet dans le cadre des itinéraires des photographes voyageurs. Et puis je travaille aussi avec DODA rue Judaïque. Je passais régulièrement devant chez eux et ce qu’ils proposaient me plaisait. Comme je suis nul en déco, un jour j’ai poussé la porte et je leur ai proposé un partenariat. Ils me fournissent du mobilier et je leur sers de showroom. Les sièges sur lesquels nous sommes assis viennent de chez eux et on peut les acheter.
Enfin, je suis en train de créer le photobook club de Bordeaux qui permettra de réunir des passionnés de livre photo et qui, pour le moment, se tiendra ici.

Une librairie mais aussi une galerie. © Pierre Lansac pour Happen

Une librairie mais aussi une galerie. © Pierre Lansac pour Happen

Un photographe local qui te plait?

Alain Laboile, mais j’aime aussi les recherches de Toums (déjà présenté pour Happe:n par  les deux excellents auteurs de ce néanmoins remarquable article sur l’ascenseur végétal) ou sinon la série sur le Maroc de Marine Lecuyer.

Un bouquin d’un photographe local qui te plait?

Un livre que je regrette de ne pas avoir mieux vendu, c’est 22:19 de Christopher Hery. Un livre assez intense et qui m’a beaucoup plu.

Pour finir, un ascenseur, c’est du béton, de l’acier et du verre, donc c’est plutôt minéral; pourquoi le tien est-il végétal?

Il fallait trouver un nom pour la librairie. La librairie photo c’était déjà pris et j’avais pas envie d’une nom à la con. A la base j’ai une formation scientifique, j’avais donc pensé à héliotropisme c’est le terme qui désigne la façon dont les plantes grandissent vers le soleil j’y voyais une analogie avec le processus photographique mais j’ai trouvé ça un peu intello. Et puis j’ai pensé au conte « jacques et le haricot magique« ; où le gamin plante un haricot qui est attiré vers la lumière (l’héliotropisme donc) et qui lui permet d’atteindre le ciel, un peu comme un ascenseur végétal et j’ai trouvé que c’était un bel oxymore. Et puis il y a le côté mécanique de l’ascenseur qui rappelle l’appareil photo et le végétal rappelle le papier.

Claude Lemaire au commandes de l'Ascenseur végétal. © Pierre Lansac pour Happen

Claude Lemaire au commandes de l’Ascenseur végétal.© Pierre Lansac pour Happen

Des projets?

Pour la troisième année, je vais avoir un stand pour la semaine inaugurale à Arles. Sinon au mois de mai, une autre expo photo dans la librairie avec un collectif qui s’appelle les Associés et puis finir le rodage de la librairie.

Nous quittons les fauteuils vintages et néanmoins uber-stylés de l’ascenseur végétal et nous prenons le temps de nous attarder une dernière fois sur les tables où sont présentés les livres et honnêtement, ça a été dur de résister… Si vous passez dans le coin et que vous voyez Claude attablé derrière son bureau, n’hésitez pas à pousser la porte, il vous accueillera et n’hésitera pas a vous faire découvrir une photographie qui sort des sentiers battus.

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L’ascenseur végétal c’est aussi et bien sur  un site  mais aussi une page Facebook pour se tenir au courant des nouveautés.

Propos recueillis par Sonia Goulvent et Pierre Lansac