Alors que les expressions « vivre ensemble », « espace public », « bassin de vie », « infusion culturelle », « publics » et « populations » (on n’oublie pas les « s ») sont à l’apogée de leur utilisation langagière, Chahuts a tout pour être une action à la mode. Pourtant, l’association ne se contente pas de surfer sur la nouvelle vague et tire profit de ses 15 ans de vieille expérience pour proposer un projet cohérent et sincère.
Le chahut c’est du bruit, du bla-bla-bla, un manque de discipline, le jeu, les cris, les rires, la foule, l’animation, les salles de classe, les rappels à l’ordre, les bêtises, le chamboule tout. Chahuts se construit autour de la parole, du mouvement et du groupe : allez donc chahuter tout seul pour voir.
L’association à vocation culturelle est une arène de rencontres et de débats lors de projets au long court et d’un festival annuel. Son champ d’action c’est l’atypique quartier Saint-Michel, la Cour des Miracles. Pour ceux qui l’ignorent encore, Saint-Michel se dessine autour des thés à la menthe, du balai des camions poubelle, des boucheries halal, des puces, des marchés et des palettes en bois. Un quartier où les habitants échangent sur les trottoirs et à la terrasse des salons de thé ; où l’espace est public et partagé, où la rue n’est pas une zone de transition mais un lieu d’échanges et de rencontres. Cela dit en toute objectivité, ma position de chroniqueuse m’y obligeant.
Cette année, le festival Chahuts se tiendra du 7 au 11 juin et le programme promet un joyeux remue-méninges. Après une année terrible, rythmée par les deuils, la peur et la violence, et en pleine crise sociale, l’association souhaite fédérer autour de mythes fondateurs, antiques et contemporains.
L’édition 2016, c’est treize spectacles et une cinquantaine de rendez-vous — conférences, slam, balades sonores, lectures etc. — détaillés dans le chouette programme orné d’une femme émancipée, métissée et mythique. Ceux qui n’ont pas réservé leur weekend sauvage à Bourg pour rester pépouze à Bordeaux devraient s’endormir le vendredi 10 juin au rythme de la douce voix de Jihad Darwiche. Le conteur vous embarque jusqu’à 5h du matin dans l’histoire des Mille et Une Nuits ; une expérience immanquable entre veille et sommeil, entrecoupée de pauses gourmandes.
Comme chaque année, Chahuts se veut une aventure collective, inscrite sur un territoire et nécessitant l’implication des habitants et des artistes. Ces derniers ne viennent pas simplement « faire une date », ils sont invités à s’intégrer dans une équipe et un quartier, notamment en logeant chez des bordelais bénévoles. L’association recherche d’ailleurs encore des hébergeurs disposant d’une chambre libre afin d’offrir le gîte aux artistes pour quelques jours.
En plus du festival, Chahuts s’investit dans des actions au long court mobilisant des riverains, des commerçants, des institutions ou encore des artistes. Après le projet « Travaux » (ceux qui ont occupé Saint-Michel pendant quatre ans), le prochain travail de fond de l’association s’appellera « Campagne » et s’intéressera à la fabrique du discours politique. Questionnant les rapports entre langage et pouvoir, il proposera un décodage de la langue politique (politicienne) et sa rhétorique. Plusieurs artistes, en binôme avec un chercheur, se saisiront du projet pour proposer des films de quelques minutes diffusés sur les réseaux sociaux. La restitution aura lieu durant le festival 2017, en pleine campagne électorale.
Mais 2017 c’est loin, le festival 2016 c’est presque demain, alors hop ! on file sur le programme en ligne pour faire des choix impossibles dans la foisonnante programmation. Pour ma part, je serai à l’avant première de « Travaux : vous êtes ici », le film documentant l’histoire d’un projet qui a travaillé avec le temps, l’espace, les habitants et les artistes. Je suis également bouillante pour la conférence d’Alain Damasio le mercredi 8 juin et les balades insolites. Bref, encore une semaine où j’attendrai que le ménage et les courses se fassent tout seuls dans mon appartement déserté…
Leur site et leur page Facebook pour toutes les infos.
