Apagne Boucane, la Casamance dans les yeux de Christophe Garbage

Christophe Garbage est né en 1976 dans la région Bordelaise. Il découvre la photographie à travers son père et en 1998, il commence à pratiquer. Il parcourt alors l’Afrique de l’Ouest avec son boîtier.

Attiré par les métiers du spectacle, il entre dans le milieu de la vidéo et devient cadreur monteur tout en continuant sa recherche photographique autour des gens. Puis, sa pratique photographique évolue pour se concentrer sur la photo de concert. Pour lui, la photographie permet de se rapprocher des personnes, de saisir un instant. Aujourd’hui, son travail photographique est essentiellement tourné vers le spectacle vivant.

En 2009, il fait un voyage au Sénégal, dans le village de M’lomp, en Casamance. Il y réalise des portraits de  villageois et devient sans le vouloir photographe du quartier.
Depuis le 06 mars et jusqu’au 27 avril 2018, ces photos font l’objet d’une exposition, nommée “Apagne Boucane”, proposée par l’OCAC (Office Culturel et d’animation de Cenon), au Château Palmer.

Afin d’en savoir plus sur Christophe Garbage, nous l’avons interrogé.

© Pierre Lansac

Comment as-tu appris la photo ?
Je suis autodidacte. C’est en 1998, lors de mon premier voyage au Sénégal, à Dakar, que j’ai acheté mon premier appareil photo argentique. Ensuite j’ai essayé de comprendre par moi-même comment il fonctionnait en lisant et en pratiquant.

Pourquoi le Sénégal? Et plus précisément le village de M’lomp en Casamance ?
Je connaissais le Sénégal depuis 11 ans, j’ai habité Dakar de 1998 à 2000. Par la suite j’ai beaucoup voyagé dans les pays d’Afrique de l’ouest, mais le Sénégal est toujours resté “mon camp de base”. C’est là-bas que j’ai mes amis.
En ce qui concerne le village de M’lomp, j’étais avec une personne qui venait travailler les musiques traditionnelles avec le soliste percussionniste de ce village. Donc je n’ai pas choisi cet endroit, c’est plutôt les circonstances qui m’ont fait arriver là. Et il se trouve que je suis tombé très amoureux de ce village et des gens qui y habitent. C’est grâce à la musique que j’ai découvert cet endroit, et aujourd’hui c’est inconcevable pour moi d’aller au Sénégal sans passer par M’lomp.

A quoi ressemble M’lomp ?
Le village est dans le sud ouest du Sénégal, il y a des manguiers partout, c’est très vert. Il est très isolé est n’est traversé que par une route goudronnée. Il n’y a pas d’eau, pas d’électricité. Ils voudraient avoir l’éclairage, mais restent réticents car ils savent que cela va amener d’autres choses, notamment la télé. Et les discussions du soir avec un fond musical où l’on parle de choses vraiment intéressantes disparaîtraient avec l’arrivée de la technologie. La notion de village et de quartier est très différente de la nôtre : il y a trois ou quatre maisons, puis 300m de forêt et un chemin pour aller vers un autre groupe de maisons. Le village est très éparpillé.

Tu étais logé chez l’habitant ?
Oui. Le soliste nous a donné sa chambre, il nous a fait dormir à sa place et lui est allé dormir chez son frère un peu plus loin.

Avais tu dès le début un projet d’exposition ?
Non je n’ai pas fait ces photos dans le but de les exposer. Je les ai faites pour les habitants de ce village, avant tout. Je suis resté là-bas presque un mois. J’avais mon matériel photo mais je n’avais pas forcément décidé de l’utiliser, je passais mes journées à discuter avec les gens, à me promener dans le village, à jouer avec les enfants … J’ai sorti mon boîtier seulement au bout de 2 semaines, d’abord pour photographier les enfants de la famille chez qui je logeais.
L’exposition m’est un peu tombé dessus, c’est Anne-Lise Rauzy, directrice de l’OCAC, qui a vu les photos sur mon fond d’écran, et qui m’a dit “ il faudrait les exposer”, puis une personne, puis deux, puis trois. Tant que c’est ta mère qui te dit “tes photos sont jolies, tu peux en faire quelque chose” c’est gentil, c’est mignon. Mais quand il s’agit de personnes qui ont leur place dans le milieu culturel tu te dis : “ il y a peut être vraiment quelque chose à faire”. Un jour elle me dit “on a voté 500 euros pour que tu exposes tes photos, est-ce que tu es d’accord?” Et oui bien sur que j’étais d’accord !

Quelle a été ta démarche photographique?
Je voulais des photos qui reflètent la réalité. Des images naturelles et spontanées. L’important était d’arriver à établir une réelle relation de confiance avec les gens et de faire parti du paysage.
J’essayais de faire passer le moment d’excitation et d’euphorie des gens devant l’objectif : l’envie des enfants de faire les andouilles, l’envie des plus âgés de poser. Je prends la photo lorsqu’ils m’ont oublié. Ce sont ces moments là que j’aime.

© Christophe Garbage

Pourquoi as-tu décidé de ne réaliser que des portraits ?
J’aime beaucoup les visages et les gros plans. Je profite des paysages mais je ne les photographie pas. Les visages me parlent plus particulièrement. Les rides d’une vieille dame, qui symbolisent son âge, sa sagesse, l’expression des enfants … le portrait en dit beaucoup.

L’exposition est en noir et blanc, pourquoi ce choix ?
C’est une démarche un peu inconsciente de ma part à la base. L’appareil photo était réglé en noir et blanc avant même de partir en voyage. Il y a pourtant des choses à faire avec la couleur : il y a du vert partout, les tenues des villageoises sont très colorées… j’ai un peu de mal à justifier mon choix, peut-être que j’avais dans l’idée que le noir et blanc donnait un aspect plus authentique.

Tu as vraiment eu un lien avec toutes les personnes photographiées ?
Oui. Il y a une histoire derrière chaque photo, chaque personne et c’est d’ailleurs pour cela que j’aime autant ces photos, parce qu’il y a un aspect affectif.
(Il nous montre des photos) :
– La vieille qui est là je lui ai tenu une lampe de poche pendant des heures parce qu’elle s’abimait les yeux, la nuit, en tressant son panier à la bougie.
– Ce petit garçon, on a passé des heures à faire des tables de multiplication parce que son père allait le tuer tellement il n’y comprenait rien.

© Christophe Garbage

Ont-ils vu ton travail ?
Oui. J’ai mis un point d’honneur à revenir avec un book contenant 600 photos, pour rendre leurs images aux différentes personnes. Parce que j’aime ces gens, j’aime ce qu’ils m’ont donné, j’aime comment ils m’ont accueilli. Ils ont tous eu leur photo. Pour les photos où il y avait deux personnes j’ai même fait deux tirages pour qu’ils en aient chacun une. Je me suis un peu pris la tête mais j’ai vraiment voulu aller jusqu’au bout de la démarche.
Ca me paraissait être la moindre des choses, une forme de remerciement. C’était le minimum de respect que je pouvais leur témoigner.

Sont-ils au courant de cette exposition? Comment réagissent ils ?
Au village ils sont au courant qu’il y a une exposition, ils savent qu’il y a des gens qui viennent voir leurs photos et ils en sont plutôt contents et très fiers.

L’exposition s’appelle “ Apagne Boucane”, qu’est-ce que cela signifie ?
C’est une vieille dame du village qui m’a appelé “Apagne boucane”, cela signifie “celui qui aime les gens” .
Ca m’a beaucoup ému parce que c’était vraiment mon but : être avec eux, sur un pied d’égalité, et vivre ensemble. Elle m’avait vu tel que je pensais et tel que je voulais être. Et cela m’a parut clair : c’était le nom de l’exposition ! Car ça définissait totalement mon voyage : une démarche d’amour envers ces gens avant d’être une démarche artistique.

© Christophe Garbage

Qu’est- ce que ces voyages t’ont apporté, personnellement ?
L’Afrique a beaucoup changé mon regard sur la vie. J’ai découvert un autre monde, qui m’a permit de relativiser celui dans lequel j’avais grandit. En 2 ans j’ai acquis une maturité que j’aurais mis bien plus longtemps à acquérir en France.

Quels sont tes projets futurs? Penses-tu exposer de nouveau à l’avenir ?
Mon principal projet en ce moment est un projet vidéo, toujours en lien avec l’Afrique, que je prépare avec une amie sénégalaise. On tente de faire une bibliothèque mémoire, de portraits de percussionnistes et de danseurs d’Afrique de l’ouest, garants d’une certaine forme de tradition. On part du constat que les plus âgés disparaissent avec énormément de connaissances des traditions et de la culture et donc on souhaite enregistrer tout cela.
Ensuite, pourquoi pas exposer des photos de concert puisque c’est dans cela que je travaille en réalité. Mais il faudrait avant tout que je commence à montrer mes photos, à me faire un site internet… je n’ai encore jamais communiqué sur mon travail.

Un séjour sentimental, qui a donné lieu à une exposition fortuite. Des portraits qui en disent long sur une vie modeste, se déroulant dans une atmosphère vivante et joyeuse. C’est ce qu’a voulu transmettre Christophe Garbage à travers « Apagne Boucane ». Une première exposition pour ce personnage authentique, amoureux de découvertes et de partage qui, on l’espère, ne s’arrêtera pas là.