ENTRETIEN AVEC IRWIN MARCHAL – EXPOSITION DE JULIEN TARDIEU

Depuis plus d’un an, Irwin Marchal enchaîne les événements les uns après les autres. Cette douzième exposition consacrée au travail de l’artiste bordelais Julien Tardieu nous donne l’occasion de revenir sur l’histoire de ce lieu d’exposition à la fois espace d’expérimentation et maintenant espace emblématique de l’art contemporain bordelais : Silicone.

Maylis Doucet : Comment en es-tu arrivé à décider d’ouvrir un lieu d’exposition ? 

Irwin Marchal : Avant d’ouvrir cet espace, j’ai passé deux ans en résidence au sein de la Fabrique Pola en tant qu’artiste. Comme je ne pouvais pas rester plus longtemps, j’ai dû partir en quête d’un nouvel atelier. En recherchant sur leboncoin, je suis tombé par hasard sur ce lieu mais je me suis rapidement rendu compte que je ne pouvais pas exploiter cet espace comme un atelier car beaucoup trop cher. En revanche, il avait la configuration parfaite pour un lieu de diffusion. Comme j’ai toujours été intéressé par le commisseriat d’exposition, j’ai rapidement abandonné l’idée d’atelier. Il y a quelque chose de très spontané dans ce choix. Cette décision a été prise en 3 jours sans business plan ni projection à long terme. Nous l’avons démarré avec l’artiste Louis Granet à l’automne 2015 et les expositions se sont enchaînées. Clairement, on avait besoin de nouveaux lieux à Bordeaux.

MD : Comme c’est un garage ouvert sur la rue, comment conçois-tu le fait de ne pas avoir de vitrine ? Acte de résistance ou simple coup de dès ?

On se pose encore la question d’installer une vitrine. Mais en même temps, comme nous n’avons pas de vitrine, ni même de porte fermée, beaucoup de personnes rentrent de manière spontanée. Sans vitrine, c’est moins pensant. Par exemple, les enfants et les habitants du quartier ont pris l’habitude de rentrer facilement. Beaucoup de personnes ne seraient jamais rentrées s’il y avait une vitrine et une porte. C’est toujours compliqué de rentrer dans une galerie même pour moi. La galerie a un pouvoir tétanisant car tu ne sais jamais sur quoi tu vas tomber. Tu peux parfois te sentir idiot ou ne pas comprendre ce que tu vas voir même si c’est bien de ne pas comprendre aussi. Finalement, c’est peut-être moins stressant d’avoir un appartement dans la galerie. 

MD : D’ailleurs, j’ai l’impression que tu essaies de trouver de nouvelles manières de transmettre l’art. Peux-tu nous parler de « WOW », votre projet de radio ?

WOW! est une émission web qui fait le choix de donner la parole aux artistes, aux critiques d’art, aux commissaires d’expositions et à tous ceux qui font de près ou de loin la création contemporain de la région bordelaise. Le nom WOW! est tiré d’un signal détecté par les radiotéléscopes dans les années 1970 du programme SETI de recherches de vies intelligentes. C’est une succession de chiffres et de lettres venant de l’espace que les ondes radios enregistraient constamment. Le novice ne comprit rien. Mais le responsable en charge de la surveillance qui a détecté ce signal a entouré au stylo le passage correspondant sur la sortie imprimée et a écrit WOW! dans la marge. Ce signal n’a jamais pu être détecté avant ou après. C’est resté dans l’histoire comme le signal « WOW! ».

MD : Quel lien entre le signal « WOW! » et l’art ? 

IM : Je trouve intéressant de faire le parallèle avec le fait que les artistes sont aussi des extraterrestres. Ils portent comme un message crypté. Parfois, il y a justement cet effet « WOW! » qui se produit dans une exposition comme si tu te disais : “Tiens, je viens de capter !”. L’idée de cette radio est de donner la parole aux artistes, proposer un langage explicite où c’est l’artiste qui explique son travail.

MD : Quel est ton lien avec la radio ? 

J’ai toujours eu une sorte de fantasme de la radio. Dans les années 1990, je me rappelle qu’on écoutait tous la radio dans nos lits. Puis je l’ai beaucoup écouté dans la voiture. J’aime beaucoup les radios de « blabla » parce que tu n’as pas à fournir l’effort de concentration que tu retrouves dans la lecture et, en même temps, tu n’es pas accaparé par les images de la télévision. Lorsque tu écoutes la radio, tu peux aussi bien conduire, travailler, rêvasser et te faire tes images… Je trouve que la radio est un médium intime. On a l’impression que l’on te parle à toi seul. Ce n’est pas comme avec la télévision où tu as l’impression qu’il y a des millions de personnes qui regardent.  Tu es plus dans l’empathie avec la radio qu’avec la télé. Par exemple, lorsque tu regardes un reportage sur l’agriculture comme « Les pieds sur terre« , tu es plus facilement dans la moquerie alors qu’avec la radio, tu rentres dans la tête l’agriculteur sans que l’image vienne discriminer le témoignage.

MD : Comment as-tu développé ce projet ?

J’ai commencé ce projet avec Arnaud Coutellec qui est un grand amateur de musique. Il parle très bien et il m’avait scotché lors d’une conférence sur la musique congolaise à la galerie 5UN7. Je m’occupe surtout du montage et il fait les arrangements en ajoutant certains sons. C’est très artisanal. On fait les interviews à tour de rôle en fonction de nos disponibilités. Au départ, nous nous sommes basés sur l’émission lyonnaise qui était « Les rendez-vous de la création contemporaine » où ils ont archivé la voix de plusieurs centaines d’artistes sur plusieurs années.  En ce qui nous concerne, pour l’instant, nous avons fait 10 émissions : Claire Jacquet, Pierre Andrieux, Guillaume Mathivet, Félix Pinquier, Armand Morin, Demi-Tour de France, Dracula Simia, Franck Piovesan, Amina Zoubir, Estelle Deschamps


MD : Quelque part, c’est un travail d’archive non  ? 

Je sais que l’archive est importante mais j’ai beaucoup de mal avec cette question. Quelque part, je me dis que nous sommes en train de gérer beaucoup trop de contenu et que nous ne sommes pas suffisamment à s’en servir. Puis, je trouve que nous sommes souvent perdus dans l’archive. Tout simplement, j’ai peut-être encore du mal à me caler dans la réalité de l’historien. En fait, je suis tout le temps dans une fuite en avant donc j’ai du mal à revenir en arrière. Cependant, je pense que la question de l’édition est très intéressante parce que cela devient un objet qui se balade concrètement, qui peut te tomber sous la main. Aussi, je me rappelle d’une anecdote. J’étais en train de travailler sur les utopies architecturales lorsque j’ai essayé de me procurer une émission des “Nouveaux chemins de la connaissance” sur France Culture. Autrefois, ils ne les conservaient que 300 jours avant qu’elles ne tombent dans le « domaine privé ». Aujourd’hui, elles sont disponibles ad vitam æternam.

MD : Ce mois-ci, tu présentes le travail de Julien Tardieu. Comment l’as-tu découvert ? 

Sur Internet tout simplement. Nous avions beaucoup d’amis en commun parce qu’il fait parti du collectif  « La Mobylette » avec environ une vingtaine d’artistes bordelais et toulousains. Au départ, ils avaient pour projet des expositions dans des lieux atypiques : piscine, camping, kebab, etc. Depuis un certain temps, j’ai vu qu’il postait beaucoup sur les réseaux sociaux de nouveaux dessins et de GIF que l’on peut découvrir sur son tumblr.  J’aime quand il y a une espèce de flux et d’énergie. 

MD : Si tu devais nous résumer son travail en un seul mot ? 

IM : C’est un travail sur la « variation ». Il dessine quelque chose dans lequel il trouve un élément intéressant qu’il va sélectionner pour le refaire dans un second dessin. Dans ce nouveau dessin, il trouve autre chose qu’il va exploiter dans un troisième et ainsi de suite. C’est donc un rebondissement de forme. C’est un flux continu qui rebondit et qui ravit. Il y a comme une variation permanente tout en gardant une même trame. Il travaille comme un cuisinier : tu gardes un ingrédient que tu appréciais dans une première recette pour l’essayer dans une nouvelle, etc. Il y a quelque chose à la fois de très sec, très étudié mais en même temps très instinctif. Tu ne sais jamais si tu es dans un paysage ou si les choses flottent dans l’abstraction.

MD : D’ailleurs, en parlant d’abstraction, peut-on créer des filiations avec l’histoire de l’art ? 

On traverse toute l’histoire de l’abstraction avec les œuvres de Julien Tardieu. On pense au début du mouvement avec Kandinsky ou Klee avec une très grande forme de liberté. Chez lui, le dessin devient peinture avec plusieurs couches en entrelaçant les trames, ce qui peut nous faire penser à des effets cinétiques ou à l’art optique. On peut aussi penser à des artistes comme Stephen Felton, une abstraction simple très enfantine finalement. Je fais aussi un lien avec les motifs de la tapisserie Bauhaus. Devant une oeuvre de Julien Tardieu, on peut facilement s’interroger. On se demande s’il a utilisé un protocole mécanique ou artisanal alors qu’il n’utilise que très rarement une règle. 

MD : A quelle pratique rapproches-tu son travail ? 

Il y a peut-être un lien à faire avec le processus de photocopie ou de la sérigraphie qui reprennent l’idée de trames que l’on retrouve aussi dans l’informatique avec les algorithmes. Il y a aussi cette idée de dessins que tu peux faire de manière machinale lorsque tu es au téléphone. Parfois, on peut penser à des choses très futiles comme la pâtisserie ou le bonbon. On sent aussi une très forte influence de l’esthétique des années 80, celle du prince de Bel Air avec toutes ces couleurs flashy ou celle liées au surf avec la récupération de motifs fluo. Il y a aussi des liens à faire avec le wax, les motifs des tissus africains.

MD : Peux-tu nous parler de l’installation qui se trouve à l’entrée du lieu d’exposition ?

C’est une reproduction agrandie d’un dessin. Sur la trame dessinée au mur, il a incrusté des sculptures assez minimales qui peuvent faire penser aux sculptures des artistes du mouvement californien des années 1960 “Finish Fetish » avec des œuvres comme celles de John McCracken ou encore les artistes Ellsworth Kelly ou de Frank Stella. C’est une interrogation sur la capacité euphorisante d’une couleur sur une sculpture. Ici, Julien Tardieu joue de la réverbération, des couleurs à l’arrière de la sculpture qui se reflètent sur le mur. Pour faire simple, c’est un peu le même effet que les néons sous des voitures de tuning. C’est un jeu entre le mur et son support. Progressivement, il est en train de changer de support, sortir de la trame pour s’intéresser à la sculpture. Finalement, ce travail de dessin est conditionné par le manque d’espace. Lorsque tu n’as pas un très grand atelier, tu travailles sur du papier et des petits formats. Mais finalement, c’est aussi ça qui est beau, cette simplicité, se placer devant une feuille blanche et se mettre dans une recherche permanente des formes où le travail est infini. 

Julien Tardieu, « Bruits », exposition visible jusqu’au 19 mars 2017.

Adresse : Silicone, Espace d’art contemporain, 33 Rue Leyteire.

Toutes les expositions passées sur : siliconerunspace.com

Pour connaître les horaires et les actualités : facebook.com/siliconespace

Propos recueillis par Maylis Doucet.

Photographie : Antoine Delage.