Entretien avec les fondateurs de la maison d’édition Ici et là

Rencontre d’un couple qui depuis plus de quinze ans mélange ses talents pour nous donner sa vision du monde. Après avoir beaucoup voyagé, Marion Coudert et Nicolas Camoisson reviennent dans la région avec la création leur propre maison d’édition Ici et là, Reportages Poétiques

Leur fil conducteur, la frontière ou plutôt la non-frontière.

Rencontre avec cette auteure et ce photographe, des artistes à multiples facettes.

Marianne Sibille : Pouvez-vous me présenter davantage Ici et là ?

Marion Coudert : Ici et là est l’aboutissement de tout un questionnement que nous avons eu et qui nous a poussés à tant voyager, puis aujourd’hui à nous poser définitivement ici. Bien que notre nom complet soit « Ici et là reportages poétiques », on ne publie pas de poésie. Notre souhait est de ne pas nous enraciner dans un seul territoire mais au contraire d’activer plusieurs ancrages et de créer des échanges entre ces différents pôles.

Nous choisissons avec qui travailler au fil de nos rencontres. Nous proposons à nos auteurs un thème mais nous leur laissons ensuite une totale liberté. Ils choisissent ce qu’ils veulent en dire. En gros, on leur propose un cadre et ensuite ils nous donnent ce qu’ils veulent donner.

En tant qu’auteure c’est ce que j’aimerais qu’on me propose : un challenge, qui peut paraître à la fois enthousiaste et flippant.

Nicolas Camoisson : C’est aussi un autre départ. Ca fait quinze ans qu’on travaille ensemble mais ça ne fait qu’un an et demi qu’on a mis en place la diffusion réelle par l’édition de tout ce cheminement. On n’est pas dans le journalisme bien formaté. On souhaite proposer aux gens de regarder le monde et aux auteurs d’être libres dans leurs propos.

M.S. : Votre démarche consiste-elle à être une démarche sociologique ?

M.C.: Non je ne pense pas. Ca va plus loin que cela en fait. Pour aller à la rencontre des gens il faut avoir un regard sociologique, géographique, ethnologique et surtout humain. Parfois il y a même quelque chose de géo-politique. Je pense que nos auteurs sont invités à avoir une vision très large de ce qu’il veulent montrer. L’idée est de tenter d’avoir une vision globale. On ne veut pas avoir de barrières dans un système de pensées. Nous avons je pense une forme d’engagement ; d’où l’idée de reportage poétique.

M.S. : La collection Territoires est-elle une démarche performative ?

N.C. : C’est un concept de publication qui peut sembler similaire à un journal quotidien. Souvent, nous les photographes, on revient avec des milliers de photos et seulement deux ou trois sont publiées dans un article. C’est frustrant. Notre challenge est de produire dans les mêmes conditions de travail un livre de 48 pages. Les photographes investissent un espace que nous avons choisi durant 10 jours maximum. Ils sont libres de travailler aussi bien en argentique qu’en numérique. Par contre ils travaillent toujours en noir et blanc, ça permet de créer un vrai face à face entre les photographes et on peut voir directement leur univers. Ensuite, lorsque l’on peut, on instaure un échange entre les photographes. L’idée est que peu à peu naisse un travail collectif.

M.S: En quoi cette notion de territoire est si importante pour vous ?

M.C: La notion de territoire a toujours été au cœur de notre travail et de notre réflexion. Peut-être parce que nous avons été très nomades jusqu’à présent et traversés beaucoup de frontières, conscients des ancrages essentiels et des racines mais en tentant toujours de créer des ponts.

M.S: La Syrie est un lieu, un thème qui revient régulièrement, pourquoi ?

N.C : Pour moi c’est simple, je suis parti y vivre à l’âge de 10 ans. Mon père y travaillait comme historien et chercheur spécialiste du Moyen-Orient. Assez jeune, je suis devenu cameraman et à 18 ans je suis parti au Liban comme assistant photographe.

M.C : J’ai toujours travaillé sur des auteurs arabo-francophones. Etudiant beaucoup l’oeuvre d’Andrée Chédid j’ai eu l’occasion de la rencontrer. Me poussant à continuer à écrire, j’ai arrêté ma thèse et je suis partie au Liban. C’est à ce moment que nous nous sommes rencontrés avec Nicolas. On a commencé à bosser ensemble et puis… on a aussi fait un enfant ! Passionnée par l’histoire du Moyen-Orient, je suis arrivée, au Liban, avec une question bien précise : Qu’est-ce que ça veut dire « signer une paix » mais de ne pas la vivre ? Nous, on ne connaît pas la guerre. C’est un peu une question romantique je vous l’accorde. Je viens d’un monde universitaire et Nicolas m’a aidée à déconstruire, tout ce que j’avais appris. Il y a une vraie différence entre ce que nous apprenons à la fac, dans les livres et la réalité sur place. Ca a été d’autant plus un choc pour moi.

M.S: Vous vous rendez régulièrement au sein de prisons, qu’est ce que vous y faites ?

M.C : Oui, je me rends une fois par semaine au centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan pour y donner un atelier d’écriture. Ca fait maintenant deux ans.

Ce qui est intéressant pour nous, (même si parfois fatiguant) c’est que rien ne se passe jamais comme on l’a prévu. Ce n’est plus un cours conventionnel. Des fois même on n’écrit pas un mot, on ne fait que parler : de mille et une choses, leurs soucis au quotidien, de la politique internationale, de littérature…

Par ailleurs, je développe un nouveau projet avec Marc Monméat (un agent de probation en milieu ouvert) pour démarrer un atelier d’écriture cette fois-ci pour le personnel SPIP de Gironde et notamment en milieu ouvert.

J’aimerai arriver à écrire un livre sur tout ça mais je ne sais pas encore quand !

N.C : Ayant un fort lien avec le Moyen-Orient j’ai commencé à m’y rendre dans la cadre de « la dé-radicalisation ». J’ai des discussions avec les détenus surtout autour des richesses du Moyen-Orient : des religions, des questions géo-politiques, du conflit israélo-palestinien. Je voudrais aussi produire une série de photos sur les métiers autour de la prison. On ne parle pas assez des gens qui y travaillent. Ce sera une édition également en noir et blanc car en plus, là-bas, les couleurs sont déprimantes. Ce ne serait pas vraiment les mettre à l’honneur.

M.S: Qu’est-ce qui vous a motivé à monter ces projets avec la prison ?

M.C : Pour comprendre cette démarche il faut remonter un peu dans le temps. Tout a commencé lorsque j’ai ouvert un blog concernant la guerre en Syrie il y a plus de 5 ans maintenant. Il faut savoir que les enfants ont été les premières victimes des atrocités de cette guerre.   C’est quelque chose me qui touche beaucoup. J’ai alors relu la déclaration des droits de l’enfant et j’ai réalisé qu’aucun article de cette déclaration n’est tenu dans ce pays. Il y a un tel fossé entre les écrits et ce que les gens vivent encore que j’ai remis en question toutes les décisions des institutions. Or, c’est au même moment que nous sommes revenus nous installer dans la région. Je me suis alors simplement demandée : Où est ce qu’on en est, nous en France, avec tout ça ?

Ayant comme contact une ancienne juge pour enfant, j’ai réalisé qu’il me manquait la réalité du terrain. Le meilleur moyen a donc été de me rapprocher d’un centre pénitencier. Pour y rentrer régulièrement et avoir un vrai suivi. J’ai eu l’idée d’y créer cet atelier.

M.S : Ces espaces par définition représentent l’enfermement donc en opposition avec cette idée du voyage et de nouveaux lieux que vous aimez tant développer. Pourquoi partir dans cette direction ?

M.C. : Oui c’est vrai mais c’est ça qui est bon ! En fait, c’est comme rentrer dans un pays étranger, passer une frontière (même système de sécurité qu’un aéroport). C’est l’enfermement dans l’enfermement.

N.C : On s’affronte à cette opposition de désir d’ouverture et cet espace totalement clos. C’est très dur d’intervenir en prison. J’ai neuf lourdes portes à passer pour atteindre le centre du bâtiment. Tout y est compliqué.

Après ce n’est pas en contradiction avec le reste de notre travail. J’ai l’impression qu’il y a même un fil continu. C’est comme si on partait pour un nouveau voyage à chaque fois que nous nous y rendons. A chaque fois c’est une nouvelle aventure !

 
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