Escalier B, speakeasy artistique.

Le trois mars dernier, un article de Sud Ouest titrait « Bordeaux: le nouveau profil des galeries d’art« . Il était fait le constat de la mauvaise santé des galeries d’art traditionnelles sur l’agglomération bordelaise et l’auteur présentait plusieurs alternatives qui avaient vu le jour ces dernières années.

Les « artist-run spaces » ayant une place de choix dans ces alternatives. Parmi ces lieux gérés par des artistes, l’Escalier B avait retenu notre attention.

A priori, la rue Sainte Catherine n’est pas le lieu ou l’on s’attendrait le plus a voir des ateliers d’artistes ou un lieu d’exposition. Pourtant si vous entrez dans le magasin Vidji au 125, et que vous poussez la curiosité jusqu’à regarder au fond de la boutique passé les cabines d’essayage, vous verrez une porte entrouverte sur laquelle est scotché un papier, on peut y lire Escalier B. rapprochez vous et vous découvrirez un escalier métallique étroit et sombre.. Les marches usées qui sonnent et annonce la présence du visiteur aux artistes qui ont installé leur atelier ici.

Au fond du magasin, une porte.

Au fond du magasin, une porte.

L’ambiance rappelle étrangement les speakeasy, ces bars clandestins  qui fleurissaient durant la prohibition américaine. Pourtant ce n’est pas une quête de clandestinité qui ont mené Charlie Devier et Xavier Ferrère dans ce lieu atypique. Quand ils ont découvert cet entresol, il servait de réserve au magasin et contenait tous les invendus dans des sacs poubelles; plusieurs mois de nettoyage, peinture et réaménagement on permis de voir apparaitre l’espace tel qu’il est aujourd’hui.  Quatre ateliers d’artistes pour Charlie Devier, Xavier Férrère, Yves Briand et Rouge mais aussi un lieu d’exposition accueillant chaque mois un nouvel artiste émergeant.

Discussion avec les créateurs du lieu et Rouge.

L'atelier d'Yves Briand

L’atelier d’Yves Briand.

Happen: l’escalier B c’est quoi?

Rouge: c’est un espace collectif de travail ainsi qu’un showroom  qui permet des expos mensuelles avec des artistes invités.

Charlie Devier: On essaye de développer les premières expositions en solo parce que c’est important pour des artistes de confronter leur production, seuls face à un public

Xavier Ferrère: … Et surtout accompagner  les artistes; on conseille et on accompagne les artistes et on essaye aussi de les pousser dans leurs retranchements pour qu’ils puissent développer leur travail.

R.: Il y a une vraie aide à la production qui est mise en place, en termes de moyens techniques car Charlie et Xavier on de l’expérience dans ce domaine; on accueille les artistes, on leur propose de monter une exposition personnelle et on les aide pour cela.

C.R.: On pourrait penser que notre modèle de fonctionnement se rapproche de celui d’un galerie mais en fait nous fonctionnons sur le principe de « l’artist run space ». On ne cherche pas à faire de l’argent sur le travail de l’artiste. Les ventes se passent entre l’acheteur et l’artiste. Nous essayons ainsi une expérience de gratuité. C’est un peu dur à tenir mais cela nous parait important.

 Quand l’expérience a t’elle débuté?

C.R.: Nous sommes arrivés avec Xavier en novembre 2013, il y a eu trois mois de travaux. La première exposition a eu lieu en janvier 2015, puis un gros trou jusqu’en octobre 2015. Depuis Octobre, c’est une expo tous les mois.

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Vous étiez parti dès le début sur ce format double, atelier d’artistes et lieu d’exposition?

C.R.: on a toujours gardé une salle libre au cas ou. On aurait pu mettre un artiste par salle mais alors c’était aussi s’empêcher de penser à l’avenir.

X.F.: accueillir des expositions c’est aussi un moyen de faire venir du public . On est basés dans le centre et c’est un moyen de mettre en place une forme de diffusion culturelle.

R: Garder un espace vide, permet aussi de penser le travail comme un ensemble puisque l’étape de démonstration, d’exposition au public fait aussi partie du processus Cela permet à l’escalier B de ne pas être uniquement un espace de production mais aussi un lieu de diffusion.

Rouge, en plein travail.

Rouge, en plein travail.

Quand j’ai entendu parler de l’escalier B pour la première fois, j’ai pensé aux speakeasy ces bars clandestin  durant la prohibition…

R: Il y a effectivement ce coté un peu clandestin mais c’est surtout que l’on est un espace en plein centre ville et les espaces dédiés à l’art en centre ville sont peu nombreux. La production tend à être repoussée vers la périphérie et s’il l’on veut fournir ce type d’espace on est obligés de se débrouiller, de viser des espaces interstitiels, un peu ambigus et de les réinvestir.

C.R.: Il faut dire que le coté jeu de piste plait aussi. Pour l’anecdote, dans la rue Sainte Catherine, il y a deux magasins Vidji. Lors du premier vernissage, certaines personnes se sont trompées de magasin et se sont retrouvées dans les réserves de l’autre boutique! Par ailleurs, nous avons aussi eu des retours où l’on nous a dit que notre installation pouvait rappeler Tokyo ou certaines villes américaines.

R: Ce qui est aussi intéressant c’est que l’on est dans un espace qui est en permanence  à définir. Il ne s’agit pas d’un espace dédié, d’une galerie, d’un « white cube » ou uniquement d’un espace de production. On est à la croisée.

L'atelier de Xavier Ferrère

L’atelier de Xavier Ferrère

Alors l’escalier B, un lieu alternatif pour une pratique alternative?

X.F.: Une pratique alternative, pas forcement; Nous sommes des professionnels de l’image, on fait partie de la famille des artistes peintres, des artistes tout court.

C.R.:  Ce qui peut être considéré comme alternatif, c’est que nous ne formulons pas d’appel  à projet. On va chercher les artistes. On choisit des gens que l’on a rencontré. En ce moment d’ailleurs, on fait évoluer la programmation pour exposer des artistes extérieurs à la métropole bordelaise mais cela a un cout, nous sommes donc en train de formuler des demandes d’aide pour pouvoir développer cette programmation.

On peut aussi y admirer le certains travaux des artistes résidents; ici, une œuvre de Xavier Ferrère.

On peut aussi y admirer le certains travaux des artistes résidents; ici, une œuvre de Xavier Ferrère.

Quels sont les critères que vous utilisez pour sélectionner les artistes qui exposent ici?

X.F.: Il ne faut pas qu’ils soient cons. Moi j’évite de travailler avec des cons….

C’est assez subjectif…

R.: Il n’y a pas vraiment de critère. Comme les artistes passent du temps ici et sont vraiment accompagnés dans la réalisation et la mise en place de leur expo, , il faut effectivement qu’il y ait une entente entre les personnes. Le contact humain est donc très important et les critères très subjectifs. On travaille avec des gens dont on apprécie la production, qui sauront occuper l’espace qu’on leur propose et avec qui on aura plaisir à travailler….

X.F.: On fait des efforts, on travaille tout un mois gratuitement pour un artiste alors on a intérêt à l’apprécier!

Votre prochaine expo?

X.F.: L’exposition de Priscille Claude, « Bitch Tank » est prolongée jusqu’à ce samedi. Par la suite, le collectif Sainte Machine présentera le 30 avril  une exposition dont le titre est  « Dissolution Absolue ». Par la suite, nous recevrons en mai Joan Coldfly et en juin Lyse Fournier mais les dates précises ne sont pas encore établies.

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l’exposition de Priscille Claude en cours de montage.

L’escalier B est une structure complexe. Loin de se limiter à un simple atelier collectif d’artistes. Les personnes qui le composent on décidé de se prendre en main pour faire avancer les choses. Mais c’est aussi une structure potentiellement éphémère, du moins sous sa forme actuelle car tributaire du bon vouloir de son hébergeur. Donc n’hésitez pas, poussez jusqu’au fond de la boutique de fringues et gravissez l’escalier, de belles surprises vous attendront sûrement…

L’escalier B Du Lundi au Samedi – 10h/19h.
125, rue Ste-Catherine 33000 Bordeaux.
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