« Exécuteur 14 », Une traversée de l’horreur

Du 2 au 4 juillet, joué en plein air à Darwin, un seul en scène puissant d’Antoine Basler, pour incarner le parcours d’une victime qui devient exécuteur, deux statuts aux frontières poreuses.

Dans un espace-temps indéterminé, un personnage, revenu de la guerre comme on revient de l’enfer, se souvient, tente de raccommoder ce qui ne s’apparente plus qu’à des lambeaux de vie, disséminés parmi les ruines de son village.

Le comédien Antoine Basler se saisit du texte d’Adel Hakim, Exécuteur 14, qui traite d’une expérience de guerre, où fragments de mémoire intime et collective s’entremêlent, pour nous transporter au cœur même de la folie humaine, dans une mise en scène signée par Elsa et Julien Basler.

Dire l’indicible: de l’intime à l’universel

Matérialisant autant l’absence de contexte spécifique que la perte du sens et d’une appartenance au monde, le décor s’apparente à un espace vide. Rien n’est donc imposé au regard pour donner la primauté au langage, oral comme corporel, et laisser libre cours à l’imagination de chacun.e.

Cela dit, ce soir-là, le cadre extérieur, à ciel ouvert, a offert une interprétation visuelle des mots. Les murs, qui encadraient la scène, se dressaient comme des ruines percées de trous, comme autant de blessures, celles du corps et de l’âme, celles de l’espace intime, ce « home » comme l’appelle Adel Hakim, dérisoire car dynamité par l’extérieur. La nuit elle-même a pris un sens dramatique : tombant quasiment au même rythme que l’insinuation du mal au sein du personnage, elle n’a jamais autant signifié la mort du jour et de la lumière.

Aussi, pour dépasser les frontières de l’intime, l’écriture emprunte des mots à plusieurs langues, invente deux peuples ennemis, alterne le « je » et le « tu », permettant le dédoublement et la projection, et adopte un style très musical. L’acteur approfondit cette dernière idée en faisant de sa performance une magistrale orchestration de rythmes : les cassures métaphorisent les fissures du personnage, les dissonances rappellent sa perte de résonance avec lui-même et avec le monde, privé de sens, et les montées en puissance, étouffantes, font naître l’angoisse.

                                                          © Camille Wodling

Le travail sur la voix ne réserve, quant à lui, aucune place au pathos. De celle presque enfantine, douce, qui provoque le rire en traitant de la guerre par l’absurde, à celle métallique, glaçante, qui raconte l’horreur et dit la haine, il s’agit toujours de contourner le propos en lui-même, autant pour échapper à la souffrance que pour mieux appréhender l’indicible et le non-sens.

Une expérience sensible

La guerre, c’est celle qui annihile les « pourquoi ? » et la raison, qui fait surgir les « comment ? » et l’instinct animal. La guerre, c’est l’étrangère qui infiltre le corps, l’habite et le modèle à sa manière, comme une marionnette dont elle tiendrait les ficelles. Dans la métamorphose de la victime en bourreau, ce corps donné à voir se transforme, change de chorégraphie, adapte ses gestes, trop facilement pour nier l’idée que l’humanité peut rimer avec l’horreur.

Les mots participent de cette expérience corporelle car ils se font eux-mêmes chair et viennent s’incarner au plus profond de notre intimité. On ressent leurs vibrations, accrues parfois par l’usage d’un micro, et qui, tour à tour, grincent, ébranlent, perforent.

                                                             © Black Louve Cie

A cela, s’ajoute le jeu des lumières et du son, véritables supports sensibles de la parole. La musique explore subtilement le spectre des significations, allant du contraste ironique avec le texte à son amplification sonore. Les couleurs incendient les murs, donnent une vision de l’enfer, habité par l’ombre que devient le personnage, désincarné.

Ce temps suspendu, qui offre de magnifiques réflexions sur le thème de l’acteur, nous laisse avec l’impression étrangement familière d’avoir intensément éprouvé, nous aussi, une expérience de guerre.

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Pour suivre la Black Louve Cie, créée par Antoine Basler et Emma Guizerix : facebook / instagram

Pour voir le teaser d’Exécuteur 14, c’est ici.