GaliléE OU LE MOUVEMENT DU MONDE

Notre ignorance est infinie : entamons-la d’un millimètre cube !

Pourquoi vouloir maintenant être encore plus savants quand nous pouvons enfin être un peu moins bêtes !

J’ai eu la chance inimaginable que me tombe sous la main un nouvel instrument avec lequel on peut observer d’un peu plus près, pas de beaucoup plus près, un petit coin de l’univers.

Servez-vous-en.

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© Nolwen Delcamp

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© Nolwen Delcamp

Il était une fois un être doué de raison qui cherchait à mouvoir la pensée des siens en prouvant, tout simplement, que la révolution existait aussi dans l’univers ; que la Terre tournait autour du Soleil et non le contraire ; balayant les idées reçues héritées d’Aristote. Mais ces pairs là ne voulaient pas douter de leurs croyances. Combat dérisoire face à l’absurdité du monde ; avidité d’une quête scientifique sous-tendue par un doute nécessairement constructif que le dogme religieux étouffera. Jugé par l’Inquisition pour hérésie, il sera condamné à l’abjuration de sa pensée, au silence ; enfermé à vie sous la garde de ceux qui ne voulaient pas entendre. Cet esprit singulier avait pour nom Galileo Galilei.

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© Xavier De Labouret

Et si ce Galilée Italien vivant au temps de la Renaissance se transposait Marocain au XXIème siècle ? Si le combat de la réflexion scientifique face à la croyance dogmatique résonnait encore dans le monde, presque 400 ans plus tard ? Voilà l’hypothèse artistique proposée par Frédéric Maragnani avec sa pièce GaliléE présentée à la Manufacture Atlantique dans le cadre du Festival international des Arts de Bordeaux (FAB).

En utilisant des extraits de la pièce de Brecht La vie de Galilée, il déploie un objet original et décalé, prônant une révolution Galiléenne arabisée. Et pour ajouter au prisme de l’audace, en plus de venir de l’empire Cherifien, cette GaliléE porte fièrement un E majuscule comme signe de sa féminité.

Décor minimaliste, loupe sur pied comme lunette astronomique, tente de camping en guise de demeure, ballon de basket pour représenter la terre, balle de tennis faisant office de soleil, les artifices n’ont pas leur place pour donner à voir la naissance de l’intuition scientifique. Avec une juste simplicité, les cinq comédiens alternent les personnages, multiplient les espaces, le temps, bricolent des intermèdes pour expliquer les extraits non joués de ce teaser de Brecht d’ 1h30 (car la pièce initiale en dure 4). Le jeu non naturaliste peut, dans un premier temps, déstabiliser, puis on se met à apprécier le principe de décalage qui n’enlève rien aux enjeux de pouvoir autour de cette femme qui cherche à tout prix à éclairer les âmes. Portée avec finesse par la comédienne Boutaïna El Fekkak, GaliléE prend en ampleur au fur et à mesure de la pièce, trouvant sa plus forte justesse dans la scène de l’emprisonnement. La GaliléE Brechtienne s’affranchit alors du principe héroïque, incarnant simplement un esprit curieux qui pense et ne peut cesser de chercher à comprendre le monde au delà des croyances, combattant malgré elle le dogme religieux.

Et puis GaliléE c’est aussi le son du oud, le rythme percussif du bendir, les chants, la langue darija qui prend peu à peu sa place dans le texte, tantôt traduite, tantôt incluse dans l’échange comme telle pour nous rappeler que cette pièce s’est aussi construite au Maroc, pour le Maroc, dans un cadre extérieur, loin de nos salles de théâtre formelles avec plateau et public sagement assis. On imagine alors avec jubilation la scène chantée de travestissement de Mehdi Boumalki !

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© Nolwen Delcamp

Frédéric Maragnani organise une mise en scène didactique, burlesque et vivante qui permet au texte d’être entendu dans toute son intensité. Une pièce joueuse comme on les aime, dans la tradition d’un théâtre populaire et intelligent. L’incarnation de ce penseur par une femme donne au sujet une dimension plus vaste encore. La pièce trouve l’équilibre juste pour faire de cette GaliéE le nouvel archétype féminin d’une combattante, qui prône la pensée face à l’obscurantisme.

Conception et mise en scène Frédéric Maragnani
Adaptation Frédéric Maragnani et Boutaïna El Fekkak 
Distribution Boutaïna El Fekkak, Luc Cerutti, Joseph Bourillon, Mehdi Boumalki, Nabil El Amraoui

Musique Nabil El Amraoui
Scénographie Frédéric Maragnani

Dramaturgie Hervé Pons
Régie générale et lumière Vanessa Lechat
Régie son et plateau Pierre Revel
Création lumière Nolwenn Delcamp
Costumes Hervé Poeydomenge
Administration Violaine Noël