Herculine . TNBA . Catherine Marnas

« Herculine Barbin » : la déconstruction du genre en jeu

Catherine Marnas porte sur la scène du Tnba le journal d’Herculine Barbin, une personne intersexe ayant vécu au XIXe siècle. Un texte au propos d’une actualité indéniable.

Le récit autobiographique d’Herculine Barbin, intitulé Mes Souvenirs, est exhumé par Michel Foucault en 1978, qui le publie sous le titre Herculine Barbin dite Alexina B. Il l’agrémente d’une préface, dans laquelle il pose cette question révolutionnaire, et finalement assez brûlante aujourd’hui : « Avons-nous vraiment besoin d’un vrai sexe ? »

Herculine Barbin, prénommée Camille dans son récit, est assignée fille à sa naissance en 1838, et est élevée comme telle. Mais à la puberté, elle développe des attributs masculins et n’est pas menstruée. Engagée comme institutrice dans un couvent, elle noue une relation amoureuse avec une femme. Peu à peu, le doute s’installe sur son « véritable » sexe, jusqu’au jour où un médecin l’examine et ne peut s’empêcher de faire part de ses découvertes à la science et à la justice : selon lui, Camille est en réalité un garçon, et doit changer d’état civil. Elle devient alors Abel. Plongé.e dans la honte et le mépris de tous, iel finit par se suicider à trente ans.

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Une voix qui résonne

Ce qui frappe dans cette pièce, c’est la puissance du texte d’Herculine Barbin, auquel Catherine Marnas, la metteuse en scène accorde la primauté. D’abord, la présence d’un décor sommaire, sobre, offre l’espace nécessaire au texte pour vibrer seul, se suffisant à lui-même. Le mur dressé en fond de scène et les quelques lits disposés côte à côte sont recouverts de draps blancs, comme des linceuls. Cela dit, on s’interroge tout de même sur la nécessité des images en noir et blanc projetées sur ce mur, qui défilent lentement mais assez indistinctement, et qui s’apparentent, semble-t-il, à des gravures de femmes du XIXe siècle. Peut-être figurent-elles l’emprisonnement du corps dans des représentations et des stéréotypes genrés… Il est vrai qu’on les occulte rapidement pour prêter toute l’attention aux mots et à leur incarnation.

En effet, c’est bien par eux, les mots, insufflés littéralement par le comédien Nicolas Martel à Yuming Hey, interprétant Herculine, qu’iel ressuscite, reprend chair, s’anime. C’est par eux aussi qu’iel se réapproprie son histoire, son être. Là est toute la force de la fiction, et en l’occurrence du théâtre, qui peut réparer les vies brisées, oubliées, en les réincarnant sur scène, où elles se voient enfin offrir une voix. Ainsi, plus iel parle, se raconte, plus iel trouve sa place, son rythme, impose sa présence, qu’on lui avait toujours refusée de son vivant, jusqu’à la tirade finale, saisissante, qui gronde de l’intérieur et transperce. L’écriture est précise, riche, littéraire, jongle avec le masculin et le féminin, faisant déjà signe vers notre actuelle écriture inclusive. On découvre en même temps un.e Herculine écrivain.e…

                                         © Pierre Planchenault

Comme souvent chez Catherine Marnas, un (ou des) personnage vient mettre en abyme le propos de la pièce, en le déployant et le densifiant par d’autres angles d’approche. Ici, il est superbement interprété par Nicolas Martel, qui brave lui aussi les limites du genre en se glissant en toute fluidité dans une multitude de rôles – l’amante d’Herculine, le médecin, un narrateur. Il offre ainsi une résonance au monologue d’Herculine, le relance, et l’éclaire, entre autres, par le récit du mythe d’Hermaphrodite. D’ailleurs, la force de leur duo et la profondeur de leurs échanges signifiants auraient pu éviter la diffusion un peu lourde de la chanson 3e sexe d’Indochine…

Du récit intime à la scène politique

Alors qu’iel nous parle d’une vie datée, Yuming Hey, comédien.ne se proclamant genderfluid, bouleversant.e par sa justesse, possède une prestance intemporelle, voire atemporelle, autant antique que très contemporaine. Iel brouille ainsi les frontières des époques pour mieux nous parler au présent, de notre présent, où les questions de genre et d’identité sont plus que jamais sur le devant de la scène.

Herculine Barbin est une pièce qui cherche à mieux nous faire réfléchir, qui nous demande d’écouter et de ne pas détourner le regard, en usant des ressorts propres à la mise en scène. Le « vous », qu’accuse Herculine en parlant de tous ceux qui l’ont jugé.e, dénigré.e, trainé.e dans la boue, c’est soudainement « nous » aussi, le public. Lorsqu’il est décidé par la justice que Camille sera désormais un homme, son changement de costume s’opère sur scène, en quelques secondes poignantes, faisant ainsi tristement partie du jeu. Comme une attaque affichée à la binarité, le vêtement masculin est noir, se confondant avec celui que porte Nicolas Martel, tandis que le costume féminin s’apparentait à une robe blanche.

                                      © Pierre Planchenault

Puisqu’iel devient un monstre aux yeux des autres, puisqu’on lui refuse la vie, Herculine finit par se l’ôter. Son corps, objet montré du doigt par une société sclérosée et incapable de changer sa mentalité, se brise, s’affaisse, telle une marionnette dont on a cessé de tirer les fils. Herculine, qui vivait et parlait avec le cœur sans que personne ne l’entende, retrouve le silence de son linceul, non sans avoir inscrit sa voix dans l’Histoire.

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Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution est à voir au Tnba jusqu’au 22 janvier. Réservations ici

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