Rencontre haute en couleur avec Isidore Krapo

Perché sur sa mezzanine, Isidore Krapo nous a reçu dans son atelier joyeusement hybride, gagné par la couleur à chaque coins de l’espace.

Isidore Krapo c’est ce plasticien local qui, depuis plus de trente ans, collecte et enferme ses fragments de vie dans des pots en verre. Des petites objets subtils, symboles du temps qui passe. Ses confitures de l’esprit cohabitent aujourd’hui avec des toiles bigarrées, petits cosmonautes et autres avions suspendus dans son atelier hors du temps, à proximité du marché des Capucins.

On a voulu en savoir plus à propos de cet artiste inclassable et de son univers exubérant et généreux…

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Isidore Krapo par Antoine Delage

H: Dans le civil, qui es-tu Isidore, quel est ton parcours ?

Moi c’est Isidore Krapo. Krapo, c’est mon nom d’artiste. « Crapaud » comme le crapaud du diamant, le petit fauteuil, le petit piano … Ce nom, je l’ai choisi parce-que j’aime l’aspect attractif et répulsif du crapaud mais j’en ai changé l’orthographe pour me l’approprier. Ce nom, c’est ma griffe dans une société où le marketing est incontournable.

J’ai fait l’école des beaux arts de Bordeaux de 1980 à 1985 et été diplômé avec une mention pour mon engagement personnel. Ces cinq ans d’études passionnantes m’ont permis d’aller jusqu’au bout de mes démarches et aidé à épanouir ma nature d’artiste.

À l’issue de mes études, j’ai énormément voyagé en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique centrale, en stop, à vélo… J’ai constaté qu’il y avait un dénominateur commun à chaque pays : l’existence d’épiceries. Épiceries pleines de couleurs, d’odeurs, de formes … Et dans les épiceries, on trouve des pots de confiture. C’est à partir de ce constat que j’ai commencé à collecter des objets et à les stocker dans des pots en verre. J’offre de la poésie à des objets hétéroclites de notre quotidien et leur confère une valeur de témoignage pour le futur. Le pot est transparent, la matière est l’objet coloré (alors que sur une toile le support est plat et la matière est la couleur). À travers ces pots de confiture, j’ai pu exprimer toute la diversité de l’art : faire des empilements, des installations, de la mémoire, de l’archéologie, des sciences naturelles … C’est en les accumulant que j’ai eu le désir d’ouvrir mon épicerie d’art remplie de mes « pots de confiture d’esprit ». Ce lieu est le point de rencontre entre une production artistique et une tradition populaire commerciale. J’ai aussi commencé à y montrer quelques unes de mes peintures sur le thème de la couleur. La couleur m’inspire.

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Mon premier atelier a vu le jour Rue Buhan en 1988 et les gens s’en sont très vite emparés. Grâce à mon épicerie d’art, j’ai pu commencé à vivre de ma peinture. Mon art tournait autour de quatre thèmes : l’histoire de l’art, les voyages, le pinard et le quotidien. Ces quatre sujets ont toujours été des prétextes à peindre.

Parallèlement à tout ça, j’ai créé ma propre compagnie aérienne, la K.A.F. (Krapo Air Force). J’adore représenter, dans mes œuvres, la vitesse, le design aéronautique. Je peins des avions. Je créé ma flotte aérienne.

Une à deux fois par an, j’interviens dans des écoles pour accompagner les enfants à réaliser des peintures murales. Il m’est aussi arrivé de peindre des fresques dans des hôpitaux pour enfants…

Depuis vingt-quatre ans je suis installé au 17 rue Elie Gintrac, dans le quartier des Capucins. Pendant dix ans il y a eu des manifestations le jour du mois (ndlr : le 1/01, le 2/02 …) dans l’esprit « nous boirons ce que nous apporterons ». Tout le rez-de-chaussée de l’atelier était mis à disposition d’artistes (d’ici et d’ailleurs), qui avaient la possibilité d’exposer durant un jour ! À ce moment-là, j’ouvrais aussi mon atelier au public. Ça a eu un succès fou …

En ce moment, officiellement, l’atelier est fermé jusqu’à septembre 2017, donc les rendez-vous sont mis en suspens. Mais l’objectif de cet atelier est toujours de créer une dynamique et d’exister à Bordeaux.

Pour moi, les arts de la peinture font partie des arts du silence et le silence peut être extrêmement bavard et source de beaucoup d’énergie. Tout ça est une belle histoire. Ma démarche, c’est un comportement avant d’être une production.

H: Qui a accès à ton atelier ?

C’est mon atelier, c’est un lieu privé et totalement autofinancé. Mais cet atelier est si vaste que je peux le partager temporairement avec des artistes en résidence. Mon «épicerie d’art » c’est aussi un lieu d’échange.

Ce n’est pas seulement le lieu où je peux travailler, entreposer, engranger … je l’ouvre régulièrement au public et y présente d’autres artistes découverts et aimés. Je veux partager, j’aime les gens. Si on me demande de prêter mon atelier pour organiser un défilé de mode ou une exposition, je peux le prêter si le projet me plaît.

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H: Ton atelier est situé rue Elie Gintrac, entre les Capucins et la place de la Victoire, est-ce que cette rue inspire ton art ?

C’est une rue vraiment bien placée. Quand je suis arrivé il y a vingt-quatre ans, il y avait encore les « vendeurs des quatre saisons » dans la rue. Avant mon arrivée, mon atelier était l’endroit où ils entreposaient tout leur matériel (cageots, balances, billots de boucheries …).

Pour la parenthèse historique, Flora Tristan, qui est un personnage que j’admire, (ndlr : Grand-mère de Gauguin, qui a été la première grande féministe de l’histoire du syndicalisme en France) est décédée prématurément d’une grave maladie dans les bras d’Elie Gintrac, son médecin.

La rue Elie Gintrac est une rue que j’aime beaucoup car il y a des lieux très vivants : le restaurant chilien Chez Alicia, le bar-concerts L’Antidote et il y a surtout le marché des Capucins en bas de la rue ! J’ai beaucoup de chance d’être situé au centre de ce grand village qu’est Bordeaux !

En revanche, c’est une ambiance que l’on ne va pas forcément retrouvé dans mes œuvres, hormis le vin et les couleurs chatoyantes spécifiques au Sud-Ouest. Ce que je retranscris dans mes œuvres, ce n’est pas mon histoire personnelle. Je trouve un prétexte à peindre (l’astronomie par exemple) et je le retranscris avec de la peinture à l’huile sur de belles toiles à la façon Krapo. Mes peintures sont foisonnantes de personnages, de motifs, et le rêve se mêle souvent à la réalité.

H: Oui car la couleur est au centre de ton œuvre …

Mon style m’est propre car je fais en sorte que la couleur créé la lumière. On pourrait me définir comme « chef coloriste ». Je travaille par superposition et par juxtaposition de couleurs. Cette saturation fait que la toile se met à danser et à vibrer.

H: Mais certaines de tes œuvres présentent une seule et même nuance. Ça signifie quelque chose pour toi ?

Suivant les années, il y a des modifications dans la cuisine. Et en 2014, je me suis appliqué, tous les mois, à n’aborder mes thèmes qu’à travers une couleur dominante. En janvier, c’était le bleu, en février c’était le vert, en mars c’était le orange, etc … Durant cette année-là, toutes les œuvres sur lesquelles je travaillais tenait compte d’une dominante colorée mensuelle.

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Je ne considère pas mon travail comme une démarche intellectuelle, c’est un travail qui suit les règles du jeu que je me fixe. À ma manière, je revisite l’histoire de l’art. Parfois même, j’emprunte des grands classiques pour les réinterpréter (Le Tricheur à l’as de carreau, Les noces de Cana…).Capture d’écran 2016-05-11 à 20.00.50

H: Quels sont tes « chantiers » actuels et à venir ?

En ce moment je suis en résidence d’artistes, je suis invité, par l’association Nouaison à Pujols-sur-Dordogne (à côté de Castillon). C’est ma troisième semaine de résidence. J’y fais un travail sur les quatre saisons. Je peins le même paysage du château de Pujols à différentes saisons de l’année.

Mais actuellement, la plus grande partie de mon occupation est d’entièrement remodeler mon atelier, de le sculpter dans un esprit de développement durable. J’ai appelé ce projet « château palettes ». Tout l’aménagement du lieu sera construit grâce à des palettes récupérées au marché des Capucins, même les vis sont de la récupération, il n’y a rien qui proviendra d’un magasin ! Je viens de faire un viaduc, de construire le quatrième escalier de l’atelier … Prochaines étapes : peindre les plafonds, finir les boiseries… Je me donne l’échéance de mes 60 ans pour finir tout ça et faire une grande fête ici !

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Isidore Krapo par Antoine Delage

MA QUESTION TOTEM : Quel est, selon toi, la meilleure invention de tous les temps ?

Le sexe.

LA QUESTION HAPPE:N MAINTENANT ! Si tu étais un film tu serais … ?

Le merveilleux film de Jean Genet « Un Chant d’amour ».

Toujours, et encore un peu plus de Krapo :

Le Facebook d’Isidore

Et pour une visite virtuelle de son atelier, c’est par là !

Photos : Antoine Delage pour Happe:n.