Landskatinganywhere: Skateboard, Ville et Architecture

Une planche, quatre roues et une philosophie. Une histoire épique, subversive, morcelée.

Plus qu’une pratique sportive, le skateboard, symbole de contre-culture, fait partie de ces mouvements spontanés qui ont progressivement modifié l’approche et les usages de l’espace urbain. À travers l’exposition « Landskatinganywhere », conçue dans le cadre de la saison Paysages, le centre d’architecture Arc en Rêve nous invite à explorer ces relations intimes et houleuses entre le skateboard, l’architecture et la ville.

La ville, territoire à conquérir

Trottoirs, marches, rampes d’escalier, rambardes de sécurité… Depuis plus de cinquante ans, les skateurs ont fait de la ville leur terrain de jeux privilégié. Tout commence dans les années 50, quand les surfeurs en manque de vagues s’attaquent aux ondulations de béton et façonnent un univers où tout devient prétexte à rider. En prenant d’assaut les piscines de Santa Monica au milieu des années 70, la bande des Z-boys gagne de nouveaux territoires de ciment et de bitume et va inventer quelques-unes des figures fondamentales de la glisse urbaine. Tout en étant auréolé d’un parfum d’interdit, le skate moderne écrit ses premières lettres de noblesse et va progressivement occuper l’espace des cités, dans une démarche exploratoire.

En usants leurs trucks sur le bitume, les skateurs vont réécrire la ville en développant une esthétique underground, prenant un malin plaisir à déjouer toute forme d’inventaire ou de classification. La ville, territoire à conquérir, devient une véritable cour de récré pour cette tribu éprise de liberté et de contestation. Avec beaucoup d’inventivité et de talent, ces architectes urbains vont réinventer la ville avec leurs propres codes, modes d’expression et repères, revendiquant leurs territoires et leur identité.

Explorateurs hors la loi, les skateurs réajustent chaque pli, chaque vide, chaque bord avec élégance, y faisant régner une courbe nouvelle, une fonction nouvelle. En défiant les aspérités d’un mur de béton et les méandres d’acier d’une rambarde, ils bouleversent notre vision du quotidien et proposent une autre manière de pratiquer l’urbain. Là où un citadin lambda voit un escalier, là où une municipalité voit du mobilier urbain, le skateur verra un spot idéal pour réaliser ses tricks. Du trottoir au banc public, chaque objet est détourné de son usage premier. Peu importe la fonction d’origine dudit spot, sous les roues du skate, l’utile devient esthétique et l’espace urbain une étendue de possibles.

Cohabitation et ville en liberté

Conviée à participer à la saison Paysages, Landskatinganywhere a été conçue d’après l’exposition Landskating de la villa Noailles, présentée à Hyères en février 2016. L’exposition nous montre à quel point le skate a bouleversé, par son architecture et sa culture, les lois de la cité. En guise d’introduction, un film de l’artiste et skateur Raphaël Zarka revient sur l’histoire de la pratique du skateboard, et se poursuit sur une chronologie autour de la discipline et ses acteurs. Artistes, photographes, architectes… toutes les personnalités invitées à l’exposition questionnent l’emprise de l’espace par ces occupants nomades et offrent un nouveau regard sur la ville. On y découvre des projets récents de skateparks aux quatre coins du monde, et un aperçu d’une vingtaine de skateparks en France avec les clichés d’Olivier Amsellem, Maxime Delvaux, Stéphane Ruchaud et Cyrille Weiner. L’accent est également mis sur la scène bordelaise, ultra-dynamique en la matière, à travers les photographies de David Manaud et Fred Ferand mais aussi des modules de Léo Valls, Tony Marquais et Yoan Taillandier, skatés in situ à Bordeaux et installés dans le centre d’architecture. L’exposition s’achève sur une vidéo de Nicolas Giraud, évoquant la problématique de la cohabitation entre skateurs et riverains et questionnant le devenir commun des espaces urbains.

Avec l’arrivée du skate, la ville s’est peu à peu transformée, les piétons devant alors improviser avec de nouvelles formes en mouvement, de nouveaux bruits. Dans cette gigantesque trame urbaine, le skate apparait pourtant comme un révélateur des potentialités insoupçonnées des lieux et des dispositifs architecturaux, sans pour autant transformer l’existant. Fenêtre ouverte sur la ville, la pratique du skate implique en effet une connaissance sensible de son environnement, de ses temporalités et de son organisation. Souvent cantonnés à s’entrainer dans les skateparks, là où ils ont « droit de cité », les skateurs revendiquent donc leur « droit à la ville », et négocient jour après jour l’espace public avec passion et créativité. Après des mouvements successifs de rejets, de tolérance, de mises à l’écart symboliques, un nouvelle génération, celle de la reconquête, défend aujourd’hui un espace social collectif qui ne doit pas se normaliser, mais s’imaginer autrement, ensemble.

Chaque recoin des 450 m2 de la grande galerie d’Arc en rêve propose ainsi un autre regard sur le paysage, territoires de conquête. Parce que le skate sera toujours dans la rue, chacun est invité à observer de plus près la ville, ses rondeurs et ses circonvolutions bétonnées, pour réfléchir sur le vivre ensemble et les pratiques contemporaines de la ville en liberté.

INFOS

Landskatinganywhere

Arc en rêve centre d’architecture

7 Rue Ferrere, 33000 Bordeaux

Jusqu’au 29 octobre.