Le FAB Tout en danse . Happen

Le FAB : Tout en danse

Retour sur deux créations de danse, présentées à la Manufacture Atlantique dans le cadre du FAB, traditionnel festival culturel de la rentrée… Chacune riche d’une véritable intensité et relevant d’une réelle expérience de spectateur.ice.

Une semaine a séparé la représentation de Larsen C de celle de Rain. Pourtant, ces pièces pourraient se ressembler sur certains points… Ne serait-ce que par leur mise en scène épurée et leur décor vide, qui donnent la primauté au corps, au mouvement comme seul vecteur d’un propos. C’est d’ailleurs bien autour du mouvement à la fois comme outil de recherche et objet d’expérimentation que s’élaborent ces deux créations.

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Larsen C, du chorégraphe Christos Papadopoulos, est une expérience unique, méditative : il faut accepter le jeu, se laisser emporter, ce qui peut prendre plus ou moins de temps. Mais lorsqu’on est parvenu.e à y entrer, c’est saisissant, vibrant. Face à nous, la matérialité sublime des corps, absolument malléables.

La création interroge le rapport à l’autre, à l’environnement : comment, en tant qu’organisme vivant, le corps réagit et s’adapte aux stimuli extérieurs – la musique, un son, un ou plusieurs autres corps. Les danseur.se.s explorent l’espace, en solo, en duo, ou à sept, ne formant alors qu’un magma organique qui bouge à l’unisson. Les enchaînements sont si fluides qu’il paraissent improvisés, dans un rapport instantané à la musique. Se met alors en scène l’universalité de cette alchimie magique, subtile et invisible entre l’esprit – qui veut – et le corps – qui agit.

                                                       ©Pinelopi Gerasimou_for Onassis Stegi

Parfois, la pensée peut vagabonder face aux mouvements qui paraissent se répéter sans cesse. Mais là réside aussi la force de cette pièce, dans le sens où, même dans l’inconfort, on demeure fasciné.e par ces ondulations qui reviennent de manière cyclique. Et pourtant, dans chaque répétition, se glisse toujours une infime variation, quasi imperceptible. Ainsi, gagnant en densité, en rapidité ou en lenteur, le mouvement ne cesse jamais de se développer : sans commencement ni fin, il est en résurrection permanente, renaissant sous une forme à la fois identique et différente que la précédente.

                                                     ©Pinelopi Gerasimou_for Onassis Stegi

A cela, s’ajoute le sublime jeu de lumières. A certains instants, les danseur.se.s évoluent dans le noir complet, comme une métaphore du vivant silencieux, celui qui croît et se métamorphose en secret. A d’autres, leurs corps en viennent à modifier l’éclairage, à se laisser traverser par la lumière, voire à en être la source…Cette dernière image avait quelque chose de divin.

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Une semaine plus tard…

Rain explore aussi le motif de la réitération de mouvements, mais la signification est tout autre. En effet, pour ce solo, la danseuse et chorégraphe Meytal Blanaru met en scène un abus sexuel qu’elle a subi dans son enfance, à l’origine d’un traumatisme indélébile. Alors, ici, si le mouvement semble se répéter, ce serait pour matérialiser l’incessant ressassement du trauma, celui qui ne passe pas et tourmente le corps.

                                                        ©Pierre Planchenault

Le corps expose ses tentatives de reconstruction, de transformation du geste en un autre, qui signerait plutôt l’émergence, le retour à la vie, mais sans succès. Se créent ainsi des ruptures de rythme comme autant de fractures psychiques. Le regard de la danseuse ne nous lâche quasiment jamais, pour nous raconter par des mots silencieux. La musique soutient cette violence, martèle, dérange. Le corps, épuisé, finit par se briser littéralement en deux, au sol. Mais c’est précisément là, dans le silence, qu’il trouve la force de se relever, avant de réapprendre à se mouvoir, à se déployer, peu à peu, tout en vulnérabilité, celle de la guérison. La musique se transforme elle aussi, rappelle une pluie douce après l’orage, qui apaise et lave les blessures.

                                                       ©Pierre Planchenault

Meytal Blanaru met en pratique ici la méthode Feldenkrais, fondée sur une redécouverte sensible de nos corps, par l’exploration consciente et lente de mouvements plutôt inhabituels. Ce travail sert une réflexion féministe, pour une déconstruction du regard masculin et patriarcal porté sur le corps des femmes, et, plus largement, il permet à la danseuse une réappropriation, en survivante, de son propre corps, meurtri, violé. La danse devient le lieu de la sublimation du traumatisme, elle le rejoue, le réincarne, le partage, pour mieux le dépasser.

Cette création a quelque chose de brut, venant des tréfonds de l’âme et du corps, qui saisit violemment. C’est une expérience, en tant que spectateur.ice, qui ne peut pas vraiment se raconter : elle se ressent, s’éprouve, pleinement.

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