Les éditions de l’Arbre Vengeur

David Vincent et Nicolas Étienne ont la chance (qui n’est pas la mienne) de se satisfaire de courtes nuits sans pour autant carburer aux excitants. Ils mènent donc une double vie, se transformant le soir venu en défenseurs de la littérature opprimée.Il y a quinze ans, ces deux bordelais fous de textes en marge et donc peu ou pas édités, plantaient les premières graines de l’Arbre Vengeur. La définition des rôles est alors bien établie : David est la plume, le littéraire qui insuffle à la maison sa ligne éditoriale, sélectionne les œuvres, rédige les quatrièmes de couverture et le contenu du site. Nicolas est le pinceau, l’artiste maquettiste qui se paye les tranches et tire les couvertures pour réveiller les bibliothèques pâlichonnes. Malgré tout, les deux travaillent de concert et David ne retient pas une œuvre si Nicolas n’est pas enthousiaste, tout comme ce dernier ne publierait pas une maquette que son partenaire n’aime pas. Deux éditeurs, donc, mais à chacun son indispensable territoire pour conserver une entente solide.

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Un coup d’œil à leur site et à leur page Facebook suffit pour évaluer le niveau d’exigence de la maison et se douter que les livres édités par l’Arbre Vengeur pèsent dans le game de la littérature. Les brèves de David Vincent sont l’œuvre d’une plume parfaitement aiguisée, tranchante pour disséquer l’actualité de la maison, mordante et sarcastique, complice et dénonciatrice, qui capte l’attention du lecteur dans d’interminables phrases sans point admirablement rythmées. Personnellement, j’adore.

Une grande part du travail de la maison consiste à réactualiser des textes intemporels et peu exploités. David Vincent se lassait en effet d’attendre que les nouvelles petites maisons d’édition, bordelaises ou non, se décident à rééditer les chefs d’œuvre qu’il adorait. La bonne littérature n’a pas d’âge et certains livres ont un écho contemporain plusieurs décennies après la mort de leur auteur.
Mais quitte à faire du neuf avec du vieux, l’Arbre Vengeur a adopté le parti-pris de ne pas imprimer de faux vieux livres avec des gravures cul-cul la praloche et du papier m’as-tu vu qui creusent immédiatement une distance entre le livre et son lecteur. Nicolas Étienne fait des ravalements de façade avec des visuels modernes qui offrent une nouvelle existence aux œuvres dont le message est rajeuni. Depuis quinze ans, il invite des artistes peu ou pas associés à la littérature (tels que les dessinateurs de BD) à réinvestir l’univers du livre en proposant leur regard sur les textes. Face aux couvertures bariolées, souvent moqueuses, parfois anachroniques, certains lecteurs distraits pourraient se laisser attraper à croire qu’il s’agit d’auteurs contemporains.

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Si David Vincent ne veut pas se cantonner à la réédition, il reconnaît être terriblement difficile dans sa sélection et choisir des formes singulières, des pas de côté, nouvelles, textes courts, aphorismes, des textes inéditables. Libraire pendant plusieurs années, il sait comment répondre aux attentes des lecteurs et vendre à la pelle. C’est pourquoi il ne le fait pas. Il publie à contre courant des œuvres en marge, dérangeantes, perturbantes, hostiles, qui ne seront jamais des best-sellers. L’Arbre Vengeur ne cherche pas le consensus et si David Vincent reçoit deux ou trois manuscrits pas jours, parfois d’auteurs qui respirent le succès, il reste intransigeant sur sa ligne éditoriale.

Car si l’Arbre Vengeur est une maison professionnelle, elle n’a pas véritablement de vocation lucrative puisque les deux partenaires ont l’assurance d’exercer une autre profession en parallèle (Nicolas Étienne est graphiste et David Vincent directeur commercial de la revue Le Festin). La maison s’est montée avec 1000F (avant les euros, mais si, rappelez vous) et les deux éditeurs se sont engagés à ne jamais investir le moindre centime dans l’aventure. Les premiers livres ont été découpés avec patience et cousus main durant des nuits sans sommeil. La recette de la vente des deux premiers ouvrages a permis d’imprimer le troisième en imprimerie. Luxe. Pas question cependant d’envoyer les maquettes à Pétaouchnoc : les livres sont tous imprimés en France. Chaque parution paye la suivante et les fonds ne s’accumulent jamais longtemps. Les deux bordelais ne sont pas les rois du marketing et de la communication et, pour vendre leurs textes exigeants à la couverture soignée, ils comptent sur le travail des libraires, cet intermédiaire souvent oublié entre la maison d’édition et les lecteurs.

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Cette indépendance financière leur offre le luxe de ne jamais publier un livre pour sa valeur commerciale mais de faire des choix sincères. Ils cherchent avant tout à se faire plaisir, et les quelques cent-cinquante ouvrages de l’Arbre Vengeur sont comme leur collection personnelle, des textes parfois chassés plusieurs années et sur d’autres continents pour la satisfaction de les voir figurer au catalogue. L’Arbre Vengeur offre une forêt de chefs d’œuvre discrets ; adopté par la maison, l’arbre est vengé d’avoir fini en pâte à papier et gagne une fin à la hauteur de la photosynthèse. À bien y songer, il aurait tout aussi bien pu se réincarner en Le suicide français. Le monde de l’imprimerie est injuste.

Les livres ne se rencontrent qu’en librairie, en version tangible, cornable, pliable, reniflable. L’Arbre Vengeur soutient l’idée que la lecture procure un vrai plaisir physique et les couvertures originales, les rabats, les reliures cousues cherchent à séduire les amateurs de beaux objets, les collectionneurs de livres, de ceux qui estiment qu’un livre n’est pas uniquement du texte, en poche ou en PDF. Même s’ils ne sont théoriquement pas contre le e-book, ils ne sont pas près de se lancer dans le numérique.

L’Arbre Vengeur reste humble et n’affiche aucun mépris pour les choix des autres maisons d’édition. David Vincent et Nicolas Étienne font des choix sans aucune prétention (jusque dans le nom de la boîte), sans chercher à donner de leçons de littérature. Les textes et leurs maquettes sont pour les deux hommes une façon discrète de s’affirmer, de construire leur identité à travers leur catalogue. Pour se raconter, certains écrivent des livres, dans la même démarche, d’autres les publient. Ce projet, c’est une maison détachée de contraintes financières, de la pression des lecteurs et des critiques, des rentrées et des prix littéraires. C’est du plaisir chronophage, un espace de liberté, d’expression et d’affirmation de soi.

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L’Arbre Vengeur c’est quinze ans d’édition, douze à treize livres par an pour un catalogue déjà riche de cent-cinquante références. Si vous ne deviez lire qu’un livre (et ce serait dommage), David Vincent recommande Mes amis d’Emmanuel Bove qu’il place au rang de « chef d’œuvre absolu ». Le roman semble constamment hésiter entre une profonde mélancolie et le une ironie grinçante. À la fois triste et drôle, l’anti-héros propose un regard touchant sur la vacuité de son quotidien et sa recherche sincère d’amis véritables. J’ai également adoré La grande vie (Martinet), un court texte acide et enveloppant, terriblement dérangeant et profondément drôle.

Toutes les infos sur le site Internet de l’Arbre Vengeur.