Les yeux brouillés: un monde des possibles entre la philo, la science et les arts

Lancement de la revue samedi 12 mars, in a secret place ! On vous dit [presque] tout !

On me parle tout récemment de trois mots doudou, que j’entends tout en douceur, tout en rondeur « les yeux brouillés ». En m’intéressant plus particulièrement à ce qu’ils pouvaient bien contenir, je découvre qu’il s’agit d’une toute nouvelle revue alliant la philosophie des sciences et les arts. « Philosophie des sciences, qu’est-ce que c’est que ce truc? » me demandé-je.

A la rencontre de Marie Penavayre et Romain Quesnoy, fondateurs de la revue et auteurs de mes mots doudou, j’ai en mains l’objet que je me fantasmais et je tente de garder mon excitation face à mes deux interlocuteurs…

Pour la première fois, le monde de la philo et des sciences s’ouvre à moi !

Pouvez-vous me dire quelques mots sur l’histoire des yeux brouillés?

Marie
Ça fait environ 2 ans, que l’idée a émergé, j’étais étudiante en histoire et philosophie des sciences. Alors que je rédigeais mon mémoire, je rencontrais souvent des gens qui ne comprenaient pas ce que je faisais: qu’est-ce que c’était que la philo des sciences? on me demandait « tu connais la philo ou tu connais les sciences? » Et du coup avec Romain, le co-fondateur, qui est aussi architecte et graphiste, on avait envie de valoriser la recherche en train de se faire dans ces domaines.

Romain
La revue nait surtout d’une impossibilité de partager.

Marie
D’une frustration! On s’est rapidement dit que l’art, et plus particulièrement la création artistique était peut-être un moyen de sensibiliser à la recherche, de donner envie, d’attirer l’œil. Le projet est aussi né de cette même frustration de ne pas voir le magazine de ses rêves en allant à la librairie. On remarque dans l’ensemble que les magazines sont très compartimentés, c’est-à-dire que l’on va très souvent se repérer en termes de rubriques, et je n’ai encore jamais rencontré de magazine qui pouvait allier ces trois domaines qui m’intéressaient. On aimerait traiter d’un thème à chaque numéro, afin que toutes les œuvres, tous les articles, répondent à ce thème, décliné en plusieurs sujets. Pour ce premier numéro, on a choisi d’aborder Le rêve – le réel – l’illusion.

Marie par Antoine Delage pour Happe:n

Marie par Antoine Delage pour Happe:n

Pourquoi les yeux brouillés?

Marie
C’est avant tout pour brouiller les frontières que cette association de mots nous est venue. Dé-compartimenter des disciplines.

Romain
On parle de dé-compartimenter et même de décloisonner les différentes approches. Partant d’une simple idée, le projet a aussi été développé par toutes les personnes qui nous ont suivis, notamment sur la plateforme Kiss Kiss bank bank. On avait à la base l’idée de créer un magazine en ligne et notre envie de le matérialiser sur un support papier a pu être réalisée grâce aux soutiens que l’on a pu obtenir.

Marie
Cette collecte de fonds a d’ailleurs été un temps phare dans notre travail. On a été au début très gênés de mettre en place ce projet de financement participatif. C’est un travail qui demande de communiquer tous les jours.

Romain
Cela nous a permis de rencontrer des personnes qui, en découvrant le projet, ont eu le désir de s’impliquer sous différentes formes, nous apportant des conseils, reposant certains questionnements…

Marie
Et puis, c’est surtout une première approche avec un lectorat potentiel et un moyen de faire mûrir le projet, de le préciser, c’est aussi un moteur de renouvellement de notre envie de le mener au bout. On est devenus perfectionnistes! Le support papier de la revue nous est aussi apparu important du fait de son contenu. C’est difficile de lire des articles de philo ou de sciences sur un support numérique. Et on avait aussi envie que le lecteur puisse prendre le temps, à l’heure de la consommation d’articles de masse. Sur toute une partie de communication, on a collaboré avec Tongs et Curiosités et l’agence Nineties, qui ont pu réaliser au sein de la revue deux (fausses) publicités photographiques très décalées, à découvrir avec le premier numéro.

Quelle est la place des supports artistiques dans la revue?

Romain
Il y a beaucoup d’œuvres, d’artistes, qui font écho à des idées philosophiques. Dans le milieu artistique, souvent on part d’un parti pris, d’une idée. L’enjeu pour nous était de trouver un écho entre une œuvre et le contenu d’un article. Si on feuillète la revue, on va avoir un ensemble d’images, toutes reliées à une même idée. Le texte n’est jamais focalisé sur l’œuvre.

Marie
D’ailleurs, on ne parle pas d’artistes dans la revue. L’image a plutôt pour fonction d’illustrer le texte. Enfin, pas seulement, certaines posent tellement de questions… Je pense en particulier à cette photo de Duane Michals « things are queer », qui est une œuvre devant laquelle le regard peut s’ancrer de longues minutes. Elle parle d’elle même. C’est une œuvre que je trouve assez anxiogène.

things-are-queer

Duane Michals – Things are queer – 1973

Romain
Notre but consiste à ce que le lecteur fasse son propre lien entre l’image et le texte.

Marie
D’ailleurs, notre interprétation n’est pas forcément le reflet du discours originel de l’artiste. Ce peut être assez déroutant pour les auteurs ou artistes de voir leur texte ou image associé à une idée qui n’est pas la leur. On avait vraiment envie que tout se mélange, les auteurs et chercheurs, les artistes, connus, moins connus… Dans le sommaire, on a essayé de créer un contenu assez énigmatique, de ne pas en dire trop, pour justement inciter le lecteur à plonger dans la revue comme un livre, de la découvrir de manière linéaire, sans piocher les seules rubriques qu’il pourrait trouver intéressantes. A la manière d’un album de musique, dont on construit les pistes en essayant de trouver une vraie cohérence, on a essayé à notre niveau de raconter une histoire, et que le lecteur la découvre dans sa continuité.

Donc c’est vous qui établissez les parallèles qui peuvent être faits entre ces différentes approches?

Marie
Oui, c’est bien ça. On est tout de même à l’écoute et d’ailleurs, on n’a jamais eu besoin de s’imposer.

Romain
On a fait le choix de ne pas publier les œuvres, qui ne pouvaient être associées à une réflexion qui ne leur correspondait pas.

Marie
On avait peur de dénaturer l’œuvre en l’associant à une démarche qui ne va pas dans le même sens. Cela nous a valu la démarche d’obtention des droits de publication pour chacun des artistes présents dans la revue. Un moment très compliqué pour nous, de nombreux artistes ne sont pas français, certains sont très connus et difficilement joignables… Je pense en particulier à cette œuvre d’Adrian Ghenie « Pie fight interior 8 », dont on a reçu l’autorisation de publication, deux jours avant l’envoi chez l’imprimeur. Cela nous a valu un contact auprès de trois galeries différentes…Pour être honnête je pense que je n’aurais pas pu imaginer ce numéro sans cette œuvre.

Adrian Ghenie - Pie Fight Interior 8 - 2012

Adrian Ghenie – Pie Fight Interior 8 – 2012

Elle est mise en relation avec un article sur le rêve, en particulier sur la richesse visuelle et émotionnelle du contenu onirique. Et pour moi, cette œuvre illustre parfaitement cette idée. Elle est riche de couleurs, de plein de choses, il y a une charge émotionnelle très forte qui s’en dégage, c’est presque quelque chose de cauchemardesque. C’est très fragmenté, comme le rêve, avec des touches de couleurs parsemées…

Les yeux brouillés par Antoine Delage pour Happe:n

Les yeux brouillés par Antoine Delage pour Happe:n

Plus concrètement, comment fait-on dialoguer la philo, les sciences et les arts?

Marie
On a essayé d’équilibrer les différents types de discours, en fonctionnant par chapitre avec à chaque fois une approche philosophique avec un article de philosophie des sciences, et une approche purement scientifique. Du point de vue de la rédaction, on a contacté des spécialistes (doctorants pour la plupart) qui travaillent sur les thématiques que l’on avait envie d’évoquer: par exemple une jeune chercheuse travaille sur le rêve lucide, un autre sur le réalisme scientifique, etc. C’est là que le dialogue se crée. On ne voulait surtout pas que l’une ou l’autre des approches ait le dernier mot, mais plutôt mettre en valeur cette circularité entre un point de vue très philosophique et une approche plus empirique. On dit souvent que les philosophes des sciences posent les questions que les scientifiques n’ont pas le temps de poser. Ils se questionnent sur le fonctionnement de la science, les méthodes et les concepts qu’elle utilise, la manière dont émerge une théorie, le cadre dans laquelle elle s’inscrit, la portée des résultats… Il y a des découvertes scientifiques que l’on ne comprend toujours pas vraiment aujourd’hui, la philosophie des sciences peut nous aider à mieux les saisir, à en mesurer les enjeux sociétaux etc…

Les articles restent toujours un état de recherche des doctorants, qui réalisent une synthèse accessible de leur travail, sans que les sujets abordés soient exhaustifs.

Il ne s’agit pas d’une revue d’actualité, on essaye surtout de ne pas s’inscrire dans une époque. On traverse d’ailleurs dans la revue différentes générations d’artistes, en passant par Duane Michals, vers d’autres plus « contemporains » comme Nathan Walsh ou dans un tout autre style, Bill Domonkos…

En fait, c’est une sorte de médiation philosophico-artistico-scientifique?

Marie
Le mot est plutôt juste. On ne veut surtout pas coller à l’étiquette de vulgarisation, mais je t’avoue qu’il est assez difficile de trouver un juste milieu entre le magazine de vulgarisation et la revue pour initiés. C’est une affaire de ton, de mots employés, de références…

Romain
L’idée est aussi d’amener le lecteur à lire, relire et re-relire. On lui fait confiance pour qu’il ne s’arrête pas à une première lecture . Certains y verront peut-être un contenu pas assez accessible. On cherche à donner des clés de compréhension, pour susciter une curiosité du lecteur et qu’il aille voir lui-même les travaux originaux. Enfin, il faut tout de même que les 90 pages que nous lui proposons soient suffisamment pertinentes, pour ouvrir la porte vers d’autres réflexions, plus approfondies, qu’elles soient personnelles ou nourries d’autres auteurs.

Marie
On est finalement plus dans une idée d’émancipation du lecteur, d’échanges de connaissances et de pratiques. Certaines idées scientifiques ont une vraie dimension esthétique, ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’on dit d’une équation mathématique qu’elle est sexy!
De la même manière une théorie philosophique peut être très sexy, tu la lis tu te dis « c’est génial, c’est beau, il y a un truc qui se passe », je dirais même que c’est contemplatif. Tu peux lire un bouquin de philo et rester béat de longues minutes, parce que la portée de cette idée est tellement riche… c’est la même chose avec la science.

Quelque chose de contemplatif et dédié à la réflexion.

Quel est le mot qui rassemblerait les trois disciplines?

Spontanément, je te répondrais « réflexion » , parce que les artistes sont aussi des penseurs, comme les philosophes, et qu’il n’y a pas de sciences sans réflexions.

Romain par Antoine Delage pour Happe:n

Romain par Antoine Delage pour Happe:n

Vous me parlez un peu de la soirée de lancement de samedi 12 mars? Ça se passe où?

Romain
Haha, c’est un lieu secret. Les places sont en pré-ventes uniquement, le lieu (dans le centre de Bordeaux) étant divulgué par mail à toutes les personnes ayant pré-acheté leur place. Sur le programme, on aura pour la toute première fois la revue en vente, et puis les goodies… Des artistes musicaux seront présents, notamment Ocoeur, avec des propositions entre le moderne classique et IDM, Thomas Skrobek (folk-pop), et deux DJ-sets pour se défouler un peu! On attend également une exposition vidéo-projetée tout au long de la soirée, et puis et puis, encore quelques surprises! Pour acheter sa place, on propose la plateforme helloasso.

Et sur la suite?

On a déjà le thème du second numéro, il sera question d’identité! Pour nous comme pour les spécialistes que l’on commence à solliciter, c’est un sujet qui offre des possibilités très larges de réflexion.

Ma petite question de la fin, dites-moi, il y a quoi dans vos petit-dej’?

Marie
Je n’ai pas de petit déj fixe, mais j’aime bien me la jouer comme ma mère, et tremper des madeleines dans du thé. Enfin, ce matin j’ai mangé, un savane, j’avais cours!

Romain
Moi j’aime bien le muesli dans un grand bol de lait, j’adore le lait, avec un verre de lait à côté. Muesli, bol de lait, verre de lait, et verre de lait.

Les yeux brouillés sur facebook c’est ici 

Toutes les infos pour le lancement ce samedi 12 mars par là

Et le lien pour le sésame (vos préventes) pour rappel sur helloasso 

L’info en plus : Happe:n s’associe aux Yeux brouillés pour leur soirée de lancement et invite le groupe Bagarre en Dj Set !