Madame H: #27

Notre Madame H: du mois de novembre est Elsa Boulay, co-fondatrice du collectif La Flambée !


Elsa Boulay
Co-fondatrice du collectif La Flambée


H • • • ­ Qu’est-ce qui te fait lever le matin ?

Beaucoup de choses, mes matins ne se ressemblent pas. Le petit déjeuner est peut-être ce qui me fait me lever, ceux-là se ressemblent contrairement aux semaines. J’y fais le point sur ce que j’ai à faire, sur l’agenda qui bouge en permanence. Ensuite, vient la préparation d’un énorme sac à dos (de voyage, je n’arrive pas à le lâcher), c’est assez cruciale car il contient mon ordinateur, les notes et pensées à partager au collectif, à manger etc. Je peux me déplacer avec tout en mains et rebondir en cas de changement de programme. On est six membres cofondateurs de La Flambée et, les jours où l’on est tous ou presque disponibles en même temps, comme en ce moment, le travail est extrêmement stimulant. Tout ce qui pourrait être laborieux devient agréable et s’accélère. On se motive, on s’interroge, on n’est pas d’accord, du coup on se cherche, on valide, on s’aide etc. L’administration permet de faire exister nos projets de création et le collectif, qui existe aussi hors du plateau.

A • • • C’était quoi tes rêves d’enfant ?

D’un côté, il y a les rêves comme travailler à WWF pour sauver les pandas, changer le monde, tout ça, faire des documentaires sur les chauves-souris. La chauve-souris j’y pense comme ça, j’étais fascinée par cet animal qu’on trouve plutôt moche quand on est enfant, associé au morbide, etc… alors que si on regarde un peu plus près c’est juste une souris chauve, c’est assez mignon en fait ! Je ne savais pas concrètement ce que je voulais faire une fois adulte mais l’envie était là de mettre les choses un peu cachées en avant, de faire une place à ce que la norme essaie d’effacer. J’habitais dans un quartier résidentiel, très lisse – en apparence du moins – et c’était assez perturbant d’avoir l’impression d’évoluer dans un environnement où en quelque sorte il manquait des cases. J’ai eu besoin de m’aventurer ailleurs, pour comprendre en effet qu’il peut y avoir des endroits plus crus, plus honnêtes, où beaucoup plus de choses peuvent exister. J’ai entendu Philippe Katerine dire l’autre jour « la marge, c’est ce qui fait tenir la page » mais il l’a piquée à Jean-Luc Godard. Peu importe, ça me parle beaucoup.

© Anthony Fournier

P • • • Que faisais-tu il y a dix ans ?

Il y a dix ans, après avoir obtenu un Bac Littéraire, je rentrais en Bac professionnel Restauration. Aucune, et à la fois trop de filières auraient pu être intéressantes, donc j’ai privilégié l’apprentissage d’un savoir-faire, que j’étais sûre d’aimer pratiquer, pour potentiellement pouvoir financer cette fac par la suite. C’est venu après : en mettant un pied dans le milieu professionnel, être éloignée du milieu artistique et d’un lieu de réflexion m’a fait comprendre que je n’en avais pas assez des études, que j’avais encore envie d’apprendre. Donc j’ai envoyé mon dossier entre deux services à l’Université de Bordeaux pour m’inscrire en Licence Arts du Spectacle et j’ai eu la surprise d’être prise. Il est difficile de se sentir légitime de poursuivre des études dans ce domaine, de prétendre avoir une place dans ce milieu, mais l’idée était de prendre encore un peu de recul sur ce petit monde, essayer d’un peu mieux le comprendre avant d’y plonger. J’ai rencontré durant ces années de Licence beaucoup de gens, beaucoup de projets sont nés à ce moment-là, dont La Flambée ! On n’était pas forcément en continu ensemble, certains sont arrivés plus tard, ont fait des années à l’étranger, mais on a d’autant plus renforcé nos liens. On a le même diplôme mais pas le même parcours, pas les mêmes domaines de prédilection, pas les mêmes connaissances, et c’est essentiel. C’est dans cette « confrontation » d’idées que j’ai pu définir ce que pourrait être mon identité artistique. Après, celle-ci n’existe pas en tant que telle, et elle est encore moins figée, ça évolue. On évolue tous les uns confrontés aux autres.

P • • • ­ Ce serait quoi ton « animal-totem » ?

J’aimerais bien être un poulpe ! (rires) J’ai appris que c’était un des seuls animaux à ramener des coquillages « inutilement ». Enfin ça a forcément une vocation, ne serait-ce que pour démarquer leur territoire, mais c’est un animal fascinant, étrange. Tout l’imaginaire qu’il a derrière lui, les fantasmes qui l’entourent… pourquoi pas un poulpe, pour voir ! Il me rappelle la moitié de ce qu’on ne connaît pas sous la mer, alors qu’on connaît presque tout de la Lune.

© Anthony Fournier

E • • • Si tu devais emmener une personnalité quelque part à Bordeaux, ce serait qui et où ?

Je te dis ce qui me passe par la tête ? Je visualise Bob Marley sur la Place de la Bourse . Place de la Bourse : un lieu central « cliché », que j’associe au colonialisme et à la richesse de Bordeaux. D’ailleurs j’ai appris il n’y a pas longtemps que les pavés qui la composent ont servi à lester les bateaux négriers, qui eux-même ont permis à la ville d’exhiber toute cette richesse. C’est quand même cynique. Bon c’est grand, c’est ouvert, il y a du passage… Et pourquoi Bob Marley ? J’ai l’impression qu’aujourd’hui il y a une sorte de pudeur, contrairement aux années 70-80 par exemple, à exprimer et défendre des choses simples et pas moins puissantes, juste pacifiques, sans être rapidement évacué du débat. Comme si les messages de paix étaient dénués de sens critique. Ça manque pourtant cruellement je trouve. Voilà, tout simplement, Bob Marley est devenu une figure un peu désuète, par la récupération marchande en grande partie, mais c’est un bon « cliché » de l’appel au rassemblement et au partage, qui contraste bien avec l’image que j’ai de cette place. Je ne suis pas fan particulièrement, mais l’image de ce gars sympa avec un micro, invitant les Bordelais à se détendre, à s’aimer, à ralentir tranquillement sur du reggae… ça me plaît bien.

: • • • Tes projets dans un futur proche et lointain ?

En ce qui concerne La Flambée, William Petipas joue dans Un K-way nommé désir le 21 novembre à Cenon, avec Eva Foudral et Julien Perugini, ce spectacle est hébergé par le collectif. Sinon pour le moment on a une date d’assurée pour chaque spectacle de La Flambée : Poudre, Société Idéale et Les Prémices de la Pluie. En attendant, on entre en résidence à La Boite à Jouer aux Chartrons pour notre création en cours : Le Grand Plan. Je vis à Bordeaux depuis huit ans maintenant, avec beaucoup d’allers-retours. Là, il s’agit de ralentir un peu pour pouvoir mieux rebondir. Je ne sais pas sous quelle forme mais l’envie grandit d’essayer de construire quelque chose ici, de l’ordre de l’endroit, d’un espace, d’un lieu quoi, qui irait au-delà du spectacle vivant. Ce qui est bien c’est que je sais ne pas être seule à nourrir cette envie, donc pour un « futur lointain », disons cela !

N • • • Un Monsieur et/ou une Madame HAPPE:N à me suggérer ?

Je pense à la violoncelliste Julie Läderach du collectif Tutti, qui réunit plusieurs artistes européens à travers différentes rencontres artistiques : performances, installations, spectacles, médiations artistiques. Je défends déjà leur travail donc je ne suis pas très objective mais j’aime particulièrement ce qu’ils et elles défendent, la bienveillance et l’insolence de leurs recherches et propositions artistiques !

© Anthony Fournier