Mina Sang, sereine et enragée…

Rencontre avec l’auteur d’Incorporée qui nous nous livre quelques clés de son univers complexe.

En septembre dernier, sans doute trop occupé à écouter tomber la pluie, j’avoue être passé à côté de la parution de l’EP Incorporée de Mina Sang sur le label Doux Divorce. Bonne nouvelle, cet album d’automne fonctionne aussi très bien au printemps. On l’écoute sans doute autrement sous un rayon de soleil, on y entend autre chose. Avec sa sonorité rétro-synthétique, le format est clairement pop, mais le propos est moins léger qu’il n’y parait. Cinq chansons vite familières, surtout quand le disque tourne en boucle. Cinq chansons attachantes qui parlent à notre coeur autant qu’à notre corps. Le clip du single d’Incorporé, entre ballade bucolique et jet de pavés, traduit bien l’ambivalence des émotions qui naissent en nous à l’écoute de cette musique. Piqué par la curiosité, j’ai voulu en savoir plus sur Mina Sang mais la chanteuse discrète vit sur le plateau de Millevaches, donc pas juste à côté, mais tout de même bien en Nouvelle-Aquitaine, ce qui justifie complètement sa présence dans les pages d’Happen ! Pour le petit citadin que je suis, ce lieu évoque de grandes étendues de prairies parsemées de bois et de blocs de granit et parcourues de cours d’eau, mais aussi un terreau culturel et militant qu’on imagine propice au processus créatif. Ce voyage n’étant pas dans mes projets à court terme, c’est à distance qu’a lieu l’interview.

Ton profil Facebook indique que tu as été « squatteuse et fermière, sculptrice et cartomancienne, accordéoniste et camionneuse, belge et limousine. » Comment ce parcours sinueux t’a conduit à la chanson et à la parution de ton premier EP à l’automne dernier ?

En fait, j’ai toujours fait de la musique, du piano, du chant, et en même temps, je voulais savoir tout faire, savoir coudre comme conduire un poids lourd. Aussi, je viens des Ardennes belges et mes grands-parents étaient paysans. La sculpture, l’agriculture et le chant, pour moi c’est un peu la même chose : c’est faire grandir la vie, avec sa sensibilité à nu. Mon « parcours » ressemble un peu à une vie à l’envers, où l’on sait intimement et depuis toujours ce que l’on veut – la musique, mais où il est pourtant nécessaire d’expérimenter les mille et une choses qui nous animent également. Pour ensuite boucler la boucle, revenir au commencement, grandie d’un certain nombre d’expériences. Un jour j’ai décidé de composer mes propres chansons et puis, il y eut quelques bonnes rencontres dont Boris Boublil avec qui j’ai réalisé ce premier EP.

La chanson Incorporée, la première de l’EP, est lumineuse et dégage un sentiment d’apaisement. « Sereine et enragée », comme si le pire était derrière et le meilleur à venir. Comme si le combat restait à mener mais qu’il n’était pas vain. Te définirais-tu comme une combattante ?

Incorporée dit « je n’ai plus peur de commencer » de manière à la fois joyeuse et mélancolique. On ne discerne pas toujours la peur en nous, la peur du futur, de l’échec ou de la solitude. Or la peur, quelle que soit sa forme, nous empêche de vivre et d’être là, ici et maintenant, et de connaître et d’assumer nos désirs. C’est la question de la présence – la présence à soi et au monde – où vivre c’est percevoir autant intellectuellement qu’intuitivement pour pouvoir se mouvoir. Il est nécessaire de se libérer de ce qui nous empêche de sentir, de voir, d’inventer et d’expérimenter en ayant confiance en la vie, même avec les échecs possibles que cela comporte. C‘est donc une chanson qui parle de dénuement, où l’on peut s’arracher à plein de choses s’il le faut et où ce qui veut vivre déchire ce qui l’en empêche. On enlève ce qui nous rend un peu lourd, pour ne pas laisser le passé déterminer à notre insu le présent et donc le futur. Incorporée c’est dans le sens où on existe aussi physiquement, à travers le corps. C’est le côté animal et intuitif.

Enfin, « sereine et enragée » parce qu’on peut être souple et fort en même temps, serein et combatif, vulnérable et déterminé, joyeux et mécontent du monde tel qu’il est. C’est la figure du guerrier ou de la guerrière dont le combat est perpétuel, pour et par la transformation de soi et du monde.

Pochette de l’EP « Incorporée »

Derrière le format pop, on décèle un état d’esprit très rock, dans les paroles notamment. Les choses sont dites sans détour. « Je brûle » par exemple décrit un amour intense avec une dimension physique assumée. « Tu viens, tu viens, tu viens en moi, Respire, Respire, abandonne toi, Couvre mon corps de ta sueur, laisse moi respirer ton odeur ». On est plus proche des Stooges que d’Etienne Daho, non ?

Une pop qui cache peut-être un esprit un peu brut. Je brûle, c’est du désir pur, et en même temps le récit d’un grand amour qui a commencé par une grande frayeur. La frayeur de savoir que ce qui nous attend nous transformera profondément et irréversiblement et que ça pourra ne pas être tragiqueC’est donc une expérience un peu folle et très belle. « L’amour est fort comme la mort » devait dire le refrain, comme dans le Cantique des cantiques. Mais j’ai voulu que l’amour soit plus fort que la mort, et donc je trouvais ça drôle de casser le côté romantique avec l’aspect physique et charnel de la chanson. J’étais aussi, en pensée, avec PJ Harvey quand j’ai écrit cette chanson.

La chanson Picnic, chantée en anglais, avec sa rythmique synthétique et sa guitare nerveuse m’évoque les Young Marble Giants ou plus proche de nous, Baxter Dury. Ta culture musicale est-elle autant anglo-saxonne que française ? Chanter en français était-il une évidence ou un challenge ?

Le texte de Picnic, c’est un poème en anglais que m’a donné un ami, Robert Hurley, qui écrit très bien. Il aime le tennis et les indiens, et a traduit des textes de Foucault et Deleuze notamment. C’est le seul morceau en anglais. Il a une autre couleur parce que pour le coup, les langues n’ont pas la même musicalité. D’ailleurs, chanter en français était pour moi un défi. Aujourd’hui, j’aime les différences de sonorité des langues et la musique qu’elles appellent.

© Sacha Baijot

Tu as mis en musique le poème d’Arthur Rimbaud, Enfance, tiré des Illuminations. Peux-tu nous expliquer ce choix ?

Rimbaud, c’est par endroits la bonne vieille machine française du langage qui tourne à vide et délire, mais par endroits c’est aussi la pure immanence de la vie, la sensibilité fragile, vivace, intacte, celle qui fait que l’on ne s’accommode pas du règne du mensonge et de l’anesthésie. Celle qui fait qu’un jour il faut tracer sa route sans regarder derrière soi. Partir, loin, chaque fois que l’horizon se referme. Ce que j’aime dans Enfance, c’est l’aspect de suspension du réel, mais dans la nature. On est en train de marcher, on ne sait pas ce qui se passe, on est vieux, on est jeune. Tout est fou et en même temps merveilleux. On avance, on avance et à la fin, il nous dit que ça ne peut être que la fin du monde. Il y a une forme de paix, de sérénité qui s’apparente à une apocalypse, une apocalypse vers laquelle il faut marcher droit, pour être sûre de la transpercer. Il y a en même temps extase, chute et reprise, c’est ce que nous dit Rimbaud : « Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant. »

Et maintenant, c’est quoi la suite ? Des concerts, un album, un nouveau métier ? 

Des concerts en solo, des nouvelles chansons et un album !

Merci Mina Sang. On reste à l’affut de tes dates de concerts, en espérant un passage sur Bordeaux et on se tient prêt à sillonner les vastes contrées d’Aquitaine pour partir à ta rencontre s’il le faut !

L’EP est à écouter sur Bandcamp. Mina Sang est à retrouver sur Facebook