Pensés périphériques: deuxième édition du Festival de la Critique d’Art

Ils s’appellent Yves Michaux, Maxence Alcalde et Imma Prieto. Ils se sont donnés rendez-vous à la Station Ausone de la librairie Mollat sur une invitation de Virginie Pislot pour la Deuxième Edition du Festival de la Critique d’Art. Ensemble, durant toute une après-midi, ils ont donné leur avis sur la thématique de la dissidence dans cette discipline.

Yves Michaux

Il a enseigné la philosophie dans plusieurs universités en France et à l’étranger. Il a été directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris pendant 7 ans. Il a animé l’émission « Esprit Libre » sur France Culture. Il a écrit de nombreux ouvrages dont « La crise de l’art contemporain« , « L’art à l’état gazeux« , « L’artistes et les commissaires » …

Durant cette conférence, Yves Michaux porte une réflexion générale sur la critique d’art depuis les années 1970 qu’il considère avant tout comme une pratique de « tri » ou une « sélection » sur des critères esthétiques, moraux, financiers ou religieux. En partant de cette base, il propose un état des lieux de la critique d’art aujourd’hui en France. Le constat est sans appel. Il n’y a jamais eu à la fois aussi peu de textes sur l’art et aussi peu de lecteurs. Yves Michaux propose une tentative de repérage. Il dégage plusieurs genres de critiques d’art. Premier genre, le « texte de l’historien de l’art » qui inscrit un artiste dans une filiation. Il parle ici de « transmission de l’aura » du critique à l’artiste. Deuxième genre, la « critique culturelle » qui correspond à celle proposée par Bourriaud, Restany ou Ardenne. L’auteur est ici le témoin de son époque pour situer l’art dans son contexte social et culturel. Cette forme de critique créé un effet de communauté.  Elle devient « une superstructure idéologique au même titre que la publicité ou la presse« . Troisième genre, « l’imbrication conservatrice » avec des critiques qui pensent que « c’était mieux avant ». On retiendra des auteurs comme Jean Clair qui déplore la fin de la grande peinture ou encore Nicole Esterolle qui offre une collection virtuelle de 2700 artistes. Quatrième genre, la « préface philosophique » dans laquelle le philosophe utilise une boîte à outils de concepts pour contribuer à la grandeur mystérieuse d’un artiste. Cinquième genre, le « texte poétique » où le poète essaye d’être en connivence avec l’artiste. Par exemple, Baudelaire projette une portée métaphysique sur la peinture de Delacroix. Sixième genre, la « critique de curateur médiateur » qui est incarné par un voyageur comme l’infatigable Hans Ulrich Olbrich. Ce nouveau genre correspond aussi à un nombre croissant d’intellectuels précaires. La critique de l’art est mobile, flexible et rapide. Septième genre, la critique descriptive qui est un traducteur pour un spectateur comme Maurice Fréchuret ou Eric Troncy. Dans ce genre, le mode de description est pluriel : utilisation de concepts philosophiques, anthropologiques et psychanalystes, explications de la démarche de l’artiste, énumération des références etc.

Maxence Alcade

Créateur du blog Osskoor dans lequel il porte un regard neuf et décomplexé sur l’art contemporain, il est docteur en esthétique, critique d’art et commissaire d’exposition, il enseigne la philosophie et la culture générale à l’école d’Art de Design Le Havre-Rouen et et anime des ateliers d’écriture au sein du Master Création Littéraire du Havre. Il est notamment l’auteur de L’Artiste Opportuniste. Entre posture et transgression

Maxence Alcalde a, pour sa part, souligné les particularités du monde de l’art actuel où les imbrications entre les acteurs entraînent une normalisation du discours.  Par exemple, il constate une uniformité des photographies d’exposition correspondant à une esthétique lisse à l’échelle internationale. Par ailleurs, les journalistes ont pris l’habitude d’écrire sur des expositions seulement à partir de photographies. Les images se ressemblent et le discours se fige alors dans un formalisme souvent loin de certains réalités économiques et sociales compliquées. Durant cette conférence, nous apprenons que la plupart des écrits sur l’art sont produits sans contreparties financières.  Dans ces conditions, écrire sur l’art ne peut être qu’une activité ponctuelle qui doit être complétée par une autre, souvent celle de commissaire d’exposition. Dans cette veine Maxence Alcalde nous rappelle que la plupart des revues comptent beaucoup sur des revenus publicitaires ainsi que les subventions pour survivre. Son expérience lui a appris que les articles influents sont ceux qui soulèvent des questions de plagiat. Dire qu’une œuvre n’est pas originale, c’est remettre en question la chaîne de galeries, de commissaires, critiques et donc disqualifier un pan entier de professionnels. Enfin, il est revenu sur un de ses articles récents dans lequel il donne quelques très bons conseils à un jeune artiste qui souhaiterait draguer un critique d’art. A retrouver sur son blog !

Imma Prieto

Elle est venue clôturer cette série de conférences. Chercheur et professeur d’art contemporain en Espagne à Gijon et Barcelone, elle a organisé plusieurs expositions à l’échelle nationale et internationale et écrit dans de nombreuses revues comme La Vanguardia, Bonart, A*Desk et Artichaut.

Cette jeune chercheuse aborde la critique d’art avec une approche beaucoup plus sensible que ces prédécesseurs. Pour elle, pour écrire sur l’art, il faut avoir une approche universaliste. Le critique d’art est cette personne qui pose des mots sur un dialogue. C’est un observateur curieux qui est dans une position active. Pour elle, un écrit sur un artiste a cette capacité d’être modulable. Elle ouvre une brèche en incitant l’auteur à revenir sur ce qu’il écrit. Tout bien considéré, Imma Prieto pense l’écriture comme la vie. C’est un espace mouvant qui doit s’ouvrir à l’altérité et aux imbrications.

En définitive, les trois intervenants proposent un triptyque exprimant trois points de vue différents. Un festival inclusif qui prend en considération son auditoire pour le laisser entrer dans les coulisses du monde de la critique d’art actuelle.

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