« Quatre tendances » : la quintessence de la danse contemporaine

Le Ballet de l’Opéra National de Bordeaux présente jusqu’au 7 novembre, au Grand-Théâtre, la 8e édition des « Quatre tendances », qui offre une sélection de la création contemporaine. Du pur spectacle !

La force de cette proposition que sont les « Quatre tendances » réside dans son éclectisme : quatre pièces, de trente minutes maximum, de quatre chorégraphes différents. Les tombés et levers de rideau rythment la plongée dans chacun des univers, tous plus inspirants les uns que les autres.

La soirée s’ouvre sur Petite mort de Kylián. Une sublime mise en scène de l’amour sur un des plus beaux concertos pour piano de Mozart. Les danseur.se.s reproduisent les codes de la séduction : la masculinité s’incarne dans des épées maniées par les hommes, symbolisant leur force, et d’immenses robes noires sur roulettes, conduites par les femmes, valent pour une allégorie de la féminité. La tension se resserre autour de duos où les corps n’en forment plus qu’un, fusionnent, saisis dans toute leur intimité – ce que vient délicatement suggérer l’immense voile qui recouvre par deux fois les danseur.se.s. Cette création dégage quelque chose d’épuré, qui doit notamment à la sculpturalité des corps, ceux-ci concentrant la passion désirante autant que mortelle, l’abandon autant que la frustration. L’émotion est à son comble.

                                                        ©Yohan Terraza /Opéra de Bordeaux

Quant à la pièce Herman Schmerman de Forsythe, qui entre au répertoire de l’opéra, on y retrouve l’essence du travail du chorégraphe, à savoir la déconstruction du vocabulaire de la danse classique pour mieux le réactualiser. Les cinq danseur.se.s, dont les costumes noirs et sobres épousent leurs formes, multiplient les ruptures de rythme, jouent sur les déséquilibres et le désaxement du corps. Le mouvement semble toujours poussé à son extrême limite, à son point d’essoufflement, de basculement, d’où, précisément, naît le mouvement suivant, ce qui procure un effet de vertige assez grisant. La musique, aux accents électro, métaphorise ce travail des corps en se faisant elle-même dissonante, volontairement bizarre, presque dérangeante. Pour autant, cette recherche de déconstruction se marie avec de superbes lignes précises de jambes et de bras, rappelant en cela les codes du classique. Mention spéciale au pas de deux final – où la jupe se porte aussi bien par la danseuse que par le danseur – bouillonnant d’énergie et de prouesses techniques.

                                                                      ©Yohan Terraza / Opéra de Bordeaux

La troisième création, Step Lightly, qui fait également son entrée au répertoire de l’opéra, est signée du couple León et Lightfoot. Elle séduit par sa poésie et sa scénographie pensée par Sol León. Une plongée dans une forêt enchanteresse, un soir de pleine lune, où quatre danseuses incarnent le rôle de nymphes-sorcières, revêtues de magnifiques longues robes en velours vert. Telles des gardiennes, elles  font corps avec l’espace, s’ancrent dans le sol, s’élancent dans les airs, au son magnifique d’un chœur de voix bulgares, qui ajoute à l’ambiance folklorique mi-inquiétante mi-fascinante de la pièce. Face à elles, deux danseurs, avec lesquels elles s’engagent dans une chorégraphie d’envoûtement et de lutte, où les portés créent des formes étranges et les corps s’entremêlent comme autant de lianes. On se laisse transporter par la magie.

                                                      ©Yohan Terraza / Opéra de Bordeaux

Le spectacle se clôture avec Cacti, du chorégraphe suédois Alexander Ekman (dont la pièce Play rencontre d’ailleurs un vif succès à l’Opéra de Paris en ce moment), une pièce pour seize danseur.se.s, très contemporaine, inclassable et explosive. Rappelant la danse-théâtre, Cacti interroge et critique avec humour l’image prétentieuse de la danse, déconstruit sa sacralité et les a priori, et questionne la signification même de l’art contemporain. La scène se fait le lieu d’un spectacle total dans la mesure où les danseur.se.s se mêlent aux violonistes et violoncellistes, qui reprennent des airs de Beethoven, Schubert ou encore Haydn. Pour décor, de larges planches blanches en forme de carré, servant à la fois de plateformes pour chaque danseur.se, d’accessoires et même de tambours lors d’une scène rappelant un rituel. L’uniformité glacée de ces carrés et la prison qu’ils suggèrent sont ainsi déjouées par ces multiples usages. L’élément phare reste le cactus (oui), dont la présence est aussi absurde que signifiante, que les danseur.se.s manient, brandissent, surexposent, pour que surgisse en nous, précisément, la question Pourquoi ? et que s’ouvrent les interprétations. Le meilleur moment, le plus drôle aussi, revient à ce duo dansé au son de deux voix qui anticipent les mouvements, les décrivent, les placent dans un contexte, racontent une histoire. Un subtil moyen de faire danse autrement, de marier la voix et le corps, pour une recherche plus approfondie sur le geste.

                                                 ©Yohan Terraza / Opéra de Bordeaux

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Pour voir les Quatre Tendances sur scène, c’est jusqu’au 7 novembre au Grand-Théâtre. Réservations ici

Bon à savoir : des places de dernière minute à 8 euros pour les -26 ans sont disponibles pour chaque représentation. Achat par téléphone ou directement au guichet du Grand-Théâtre.

Photo de Une © Yohan Terraza | Design graphique © Happe:n