« Rana Tharu : des princesses déracinées » : Entretien avec Pierre Benais

« On peut voyager sans bouger de chez soi ». Et c’est entre autre grâce à Pierre Benais…

Ce réalisateur de documentaires d’origine bordelaise que L’équipe d’Happe:n avait déjà rencontré Pierre Benais en 2017, part à la rencontre de peuples indigènes en restant 2 mois en immersion au sein d’une famille afin de retranscrire leur quotidien. Son documentaire,  Rana Tharu : des princesses déracinées, tourné au Népal, a remporté en automne 2017 le prix du meilleur premier documentaire lors du festival Le Grand Bivouac. Nous sommes  allés rencontrer une nouvelle fois Pierre Benais pour parler de ce documentaire.

Salut Pierre ! Comment fais-tu pour rencontrer les familles dans tes documentaires ? Tu as des contacts en France qui te mettent en relation ou le contact se fait sur place ?

 C’est vraiment sur place, c’est très hasardeux et ça se fait au gré des rencontres. Généralement, ce n’est pas toi qui choisis la famille, c’est elle qui me choisit. Tu discutes avec plein de gens et au fur et à mesure, une fois que tu es bien intégré dans la communauté, tu papillonnes un peu partout et tu vois qui peut t’héberger sur une longue durée. Une confiance s’établit petit à petit. Je fais ça depuis 10 ans. Que ce soit en Afrique du Sud, en Indonésie, au Maroc ou au Sénégal, je finis toujours par trouver une famille pour m’accueillir. Je choisis les pays selon mes envies et ensuite je vois quels peuples on trouve dans ce pays-là. Je recherche des lieux avec une histoire intéressante et je me lance dedans. 

Le homestay t’a permis d’étudier les relations humaines et surtout les liens familiaux dans différentes cultures. Est-ce que tu as remarqué des similitudes entre les familles que tu as rencontré et les familles occidentales ?

 On se rend très vite compte que n’importe où dans le monde, les familles rencontrent les mêmes problématiques. Cela montre aussi qu’on peut voyager sans bouger. Le voyage après tout, c’est de se déplacer sans cesse d’un point A et un point B. Une fois sur place, je ne bouge plus et pendant 2 mois je reste avec une famille pour vraiment apprendre de leur quotidien en immersion. C’est un peu une démarche ethnographique finalement. En te déplaçant tout le temps, tu n’as pas le temps de vraiment rencontrer les gens, les relations ne s’approfondissent pas et on ne crée pas de lien.

Rana Tharu. Crédits : Pierre Benais

Comment t’es venue l’idée de faire un documentaire sur les princesses Rana Tharu ? 

 Rana Tharu c’est la suite logique de ma série d’immersions de 2 mois dans une famille. Je ne connaissais pas ce peuple avant de partir au Népal, c’est au fil de mon voyage que j’ai rencontré une famille qui a accepté de m’héberger pendant les 2 mois de tournage. Rencontrer une famille, découvrir une culture, discuter, échanger, partager… Au départ j’avais choisi ce peuple par rapport à sa localisation (dans la partie plaine du Népal) ; je voulais montrer une autre image du Népal en dehors de ses montagnes. Leur histoire est aussi très intéressante. Le fait que ce soit d’anciennes sultanes du Rajasthan qui ont dû se déplacer pendant la guerre pour se réfugier au Népal et qui sont passées de sultanes à paysannes, il y a un contraste assez énorme entre ces deux modes de vie. C’est aussi cet aspect-là que je trouvais intéressant à traiter. 

Dans ton documentaire tu intègres la famille de Laltilla, une Rana Tharu marquante et profondément touchante. Quels souvenirs gardes-tu de ta première rencontre avec elle ?

La famille de Laltilla a tout de suite accepté ma venue dans leur foyer. Ce n’est pas elle que j’ai rencontré en premier mais Rane Sor Rana, son mari, décédé depuis (d’où l’hommage qui lui est rendu au début du documentaire). Concernant Laltilla la rencontre s’est faite tout simplement. Au début c’était beaucoup de regards car on ne communiquait pas vraiment, le traducteur venait seulement toutes les 2 semaines. Le reste du temps je ne comprenais rien et eux non plus. Les échanges étaient donc basés sur de la communication non verbale ; des regards, des sourires, des gestes… 

Laltilla a une très forte présence par son apparence, elle est très maigre et très musclée, et en même temps elle fait très vieille pour son âge. Ce qui m’a touché c’est son histoire qu’elle m’a raconté lors de la venue du traducteur. C’est ce qui m’a permis de tourner le film sur elle, elle avait beaucoup de choses à raconter sur son peuple. C’est une mamie un peu anarchiste, antisociale, qui veut bouleverser les mœurs par les mariages d’amour vrai, la modernisation de son habitation… Elle veut faire une rupture avec sa culture tout en gardant certains attributs familiaux. C’est ce qui m’a le plus touché chez cette femme. Laltilla représente ce que je traite dans mes films : les bouleversements culturels.

Laltilla. Crédits : Pierre Benais

Laltilla est la narratrice de ton film et son récit veut transmettre un message à son peuple qui, on l’espère, sera entendu par son peuple. Est-ce que la communauté Rana Tharu a eu accès à ton documentaire ?

Oui, il a été téléchargé par la communauté Rana et il va être traduit pour être diffusé dans tous les villages pour justement essayer de faire changer les mœurs. C’est une très bonne nouvelle. Le but du documentaire c’était de rapporter son discours, même si ce n’est pas elle qui parle mais une voix off. Pour narrer un récit dans un documentaire il faut savoir lire, avoir des talents d’oratrice, c’est un travail à part entière, d’où ma décision de faire la voix off avec une française plutôt qu’une népalaise.

En parlant d’évolution des mœurs, ton documentaire a été marqué par un évènement très important pour la famille de Laltilla, le mariage de son petit-fils Danyram. Ta venue à ce moment précis était-elle planifiée ou était-ce un heureux concours de circonstances ? 

C’est le hasard. Le mariage de Danyram a eu lieu à la fin des 2 mois. C’était très difficile à filmer puisque j’étais en carence alimentaire, j’avais perdu 10kg. J’ai filmé ce que j’ai pu et le reste du temps je l’ai passé assis à essayer de récupérer. Normalement je ne devais pas être là, j’avais prolongé mon séjour lors de mon arrivée à cause de soucis d’avions qui m’avaient retenu en Malaisie. Comme je voulais vraiment faire 2 mois complets, j’avais prolongé mon séjour au Népal. C’est ce qui explique pourquoi j’étais présent à ce mariage. L’histoire se fait avec ce qui se passe.

As-tu gardé contact avec cette famille qui t’as reçu ?

Je ne suis pas directement en contact avec Laltilla mais avec un de ses fils par Facebook. Il vit en ville donc j’ai souvent de leurs nouvelles par le biais de photos. 

Si vous souhaitez découvrir l’histoire des Rana Tharu à travers le récit de Laltilla, le documentaire  Rana Tharu : des princesses déracinées sera projeté à l’Amicale Laïque de Bacalan le 3 mai prochain où Pierre Benais sera présent pour discuter du film. Il est également disponible sur YouTube.