Sauvage Garage • #20 • Paul dans le Nord, Anne Lecomte et Pascal Vion

Happe:n est ravi d’accueillir entre ses murs A. Pello di Semene et P. de Fyllon, les deux critiques stars de Kékérama, le magazine de la culture du rire. Ensemble, ils forment LE duo good cop/bad cop de la critique de livres (le bouc – désormais un trend sur les réseaux cassociaux – d’après un néologisme des deux comparses qui, malgré leurs opinions divergentes, partagent leur écran depuis maintenant dix ans). Leurs célèbres antagonismes ont permis de faire découvrir au grand public des talents comme Frédéric Bègue-et-Bégaie ou encore Joël Dick-Her.

Ils marquent le début de l’hiver 2016 avec une recension de saison, qui vient tout juste d’enfiler ses moon boots dans les rayons de librairies : il s’agit, bien sûr, de Paul dans le Nord, le dernier tome de la série québécoise à succès, signée Michel Rabagliati.

paulnord_cover

Pour :

Paul va avoir 16 ans et ses parents viennent de déménager. Intégrer une nouvelle polyvalente, se faire de nouveaux amis… La barbe ! Seule une chose lui semble désirable : cette mobylette Kawasaki KE100, qu’il rêve d’enfourcher pour battre le macadam. Mais voilà-ti pas qu’il rencontre Tit-Marc, un grand maigre à la cool attitude, qui va lui faire découvrir le rock, les potes, les road trips et l’amener à ses premières expériences avec ses blondes. Entre l’acné, les déconvenues amoureuses, le pot et les binouzes, les seins et les guitares, Paul traverse sa crisse d’adolescence l’air de rien.

Paul et l'acne_

Nous sommes en 1976 et Paul est un ado, sacré crisse ! Adieu gmap, gsm et mp3 ; bonjour 45 tours, téléphone fixe et crame directe quand une midinette appelle. Et qu’est-ce que ça sacre dans Paul dans le Nord ! Si la narration rétrospective de Paul, dans les cartouches en haut des cases, est dans un français international, à l’intérieur des bulles, c’est la débandade. Rabagliati se sert des dialogues pour ramener les situations et les personnages à la vie et en 1976 : « Cibole », « Ayoille, ostie d’malade ! », « Calvâsse ! », « Maudite marde »… Ça déménage !

Rabagliati décrit l’état d’effervescence dans lequel on se trouve à l’adolescence, et le regard tour à tour compréhensif, impatient et impuissant des adultes autour. Les sautes d’humeur sont au rendez-vous, les copains sont le sens de la vie et les filles rendent complètement niaiseux. Paul s’amourache et c’est comique : naïf, niais, collant et sans aucun sens de la dignité. Tandis que son père loue le ciel d’avoir un peu de répit et cite la chanson de Sonny James, Young Love, l’œil plus sage de sa mère anticipe la déconvenue. Nous, on se réjouit, c’est l’occasion de voir Paul en slip, roulé en boule dans sa chambre au milieu de ses déchets, à geindre comme c’est pas permis.

Paul geint

Comme dans Paul à Québec, la sortie de scène a quelque chose de métaphysique, faisant usage de plans aériens, la nature se superposant à l’urbain. Rabagliati s’intéresse toujours autant aux espaces urbains, leur transformation, et les incursions-retours à des paysages plus sauvages. La route et les allers retours (notamment entre ville et campagne) est le grand sujet de ce tome, facilité dès que Paul fait l’acquisition de sa mobylette tant désirée. Paul est en transition, un peu là-bas, toujours ici, jamais complètement à l’aise dans un endroit comme dans l’autre. Intense dans toutes les circonstances : comme avec son engin pétaradant, il s’agit de progressivement, sans aucun moyen d’accélérer le processus de grandissement, trouver un lent mais sûr équilibre.

A. Pello di Semene

Contre :

Paul dans le Nord. 5 voyelles pour 9 consonnes. Autant dire que l’asymétrie qui s’annonce dans le titre n’annonce rien de bon de ce désastre dessiné. Explication.

La série des Paul, débutée en 1999, est une pâle copie des Martine. Il n’y a pas à chercher bien loin pour retrouver malheureusement chez Paul ce qui a fait le succès de la charmante jeune fille de notre enfance aux aventures extraordinaires : un titre reprenant le nom du personnage principal et l’ajout d’un lieu donné, d’une action précise ou la compagnie d’un autre personnage. Une chose est sûre : Paul n’est pas Martine. Ne peut pas être Martine ou alors je meurs. Comme ça. Mort à la fin de ma rubrique. Couic. Car lorsque Martine dans Martine et son ami le moineau (pierre angulaire, à mon sens, de l’univers philosophico-domestiquo de cette Sainte) donne à manger à son petit compagnon à plumes dans une soucoupe, elle est le visage de la candeur qui fait tant de bien à nos cœurs. Paul, lui, n’est que sottise de boots en bout.

Paul dans le Nord et dans la Nuit

« Une adolescence qui fait marrer » ? Pardon ? Combien de temps allons-nous encore avoir à supporter des historiettes qui nous soumettent au jeu perfide du « Rappelle-toi Barbara », ce piège d’identification au personnage ? Cela ne vous aura pas échappé que je m’appelle Paul, tout comme l’insignifiant héros. Je jure, Grand Dieu, Grandes Eaux, de ne lui avoir jamais ressemblé. Adolescent, j’étais de taille large, autoritaire comme tout chef scout et je m’abreuvais de tracts activistes afin d’alimenter du mieux possible les débats lors des assemblées générales des Jeunesses Hulottes, où je traînais ma caissette de trésorier départemental. Rien à carrer des filles, qu’elles soient blondes, vertes ou pervenche : seules les missions comptaient, réalisées dans la plus ferme humilité. Les boutons, « le Rock, les potes, les road trips » : et ta retraite tit-gars ? Martine – cette chère âme – en a déjà la nausée, et moi avec. Et ne me lancez pas sur le type qui crée un personnage pour évoquer sa jeunesse et mettre en scène sa propre vie : personne n’a jamais prononcé le mot « psychanalyse » devant monsieur Rabdegelati ? Enfin, passons, de toute façon c’est québécois.

Oui, vous avez bien lu : québécois ! Paul dans le Nord… On s’attend à du Germinal ou à une élection régionale ! Au lieu de ça, on se retrouve au Groenland avec des expressions pas françaises du tout. « C’est exotique ! » Non, non et non, Paul et ses proches avec « calvâsse » n’est pas plus exotique que le Marsupilami et son « Houba Houba Houbaba » ! Et puis, qui sont donc les québécois pour exploiter un Art qui n’est pas de chez eux ? « Ah, mais ce sont nos cousins ». Aucun québécois n’a jamais passé la since dans notre maison familiale après avoir partagé trois jours durant, le même pâté de ragondin, la même pichotte de St Nicolas de Bourgueuil, la même boue et le même renard lors d’une cousinade. Et ne me dîtes pas que leur accent est mignon ! Une portugaise édentée qui demande s’il n’y a pas de la machonnerie à faire chez moi, ça, oui, c’est charmant, c’est vibrant, c’est orgasmique.

Je n’aime pas le dessin, je n’aime pas les traits. Point.

Je déconseille.

P. de Fyllon

Paul dans le Nord, illus de fin