Troisième Nature . Demestri / Lefeuvre © Laetitia Bica

Trente Trente 2022 ⚡ Flash portrait ⚡ Florencia Demestri & Samuel Lefeuvre

On continue notre série de portraits d’artistes présent.e.s sur cette édition 2022 du festival Trente Trente avec les danseur.se.s et chorégraphes venu.e.s de Belgique et habitué.e.s de l’événement, Florencia Demestri & Samuel Lefeuvre. Après une résidence de quelques jours au Marché de Lerme, le duo y présentera la première de sa nouvelle création, Troisième nature, les 21 & 22 janvier.

Voici le ⚡ Flash portrait (pas si flash que ça finalement…) ⚡ de Florencia Demestri & Samuel Lefeuvre.

           • • • Racontez-moi votre parcours artistique • • •

Florencia : Je viens d’Argentine. Très tôt, je suis partie au Brésil, puis au Costa Rica, avant d’arriver en Europe vers 2002-2003. J’ai un parcours assez éclectique : j’ai commencé par faire du théâtre et de la danse, puis j’ai fait du cirque, et je suis finalement revenue à la danse quelques années plus tard. C’est un parcours composé de voyages aussi, motivés par l’envie de découvrir d’autres cultures, d’autres manières de penser et de réfléchir à certaines questions selon les continents. Après, je suis arrivée à Belgique, où j’ai commencé à travailler. J’y ai rencontré Sam il y a très longtemps, mais on a commencé à collaborer à partir de 2012 – et on vit ensemble aussi !

Samuel : Moi je viens de Normandie, et j’ai commencé à danser tout petit. J’ai beaucoup dansé là-bas, puis j’ai fait le CNDC à Angers. Je travaille depuis les années 2000 à Bruxelles. Depuis qu’on s’est rencontré.es avec Florencia, on a toujours été attiré.es par la manière dont on peut créer une sensation originale chez le spectateur. On ne veut pas seulement mettre en scène un spectacle de danse technique ou abstrait, on cherche plutôt comment on peut travailler la notion d’ « étrangeté ».

Florencia : Oui, et voir comment on peut troubler la perception du spectateur. Lui dire que l’expérience est un peu plus complète qu’une simple observation de quelque chose : comment ce quelque chose mis en scène peut nous décaler, nous déplacer dans nos perceptions et nos sensations. On n’est pas au niveau de la compréhension de ce qu’on voit, mais bien celui de la sensation.

           • • • Qu’est-ce qui vous amène aujourd’hui à Trente Trente ? • • •

Samuel : Déjà, on a une longue histoire avec ce festival puisque c’est la quatrième pièce qu’on y présente.

Florencia : Oui, on a une belle complicité avec Jean-Luc [Terrade, le directeur du festival]. Il nous a accompagné.es à différentes étapes de notre travail.

Samuel : La pièce que nous présentons cette année s’appelle Troisième nature. Ce qui est intéressant, c’est que Jean-Luc a vu notre précédente pièce, mais elle était trop longue pour être présentée à Trente Trente. Il nous a alors demandé si on n’en avait pas une version courte, mais on n’avait pas envie de raccourcir ce spectacle parce qu’on l’avait vraiment pensé pour une soirée complète. En revanche, cela nous a poussé.es à nous demander comment on pourrait continuer à traiter les mêmes sujets, dans une version plus courte donc, mais aussi plus adaptable par rapport aux conditions qu’on a dans le contexte actuel. Cela nous paraissait intéressant de proposer des spectacles « tout-terrain » et assez accessibles.

Florencia : On avait envie de créer une forme de série qui s’attaque à un sujet en particulier, qu’il s’agit de creuser sous des formes différentes mais rattachées par cette même thématique. Avec Glitch, notre précédente création, on s’était plongé.es dans un questionnement sur l’erreur, la manière dont on peut l’interpréter et la penser comme une porte d’entrée vers de nouvelles choses, qu’on ne contrôle pas mais qui nous font pourtant avancer. Faire l’éloge de l’erreur en quelque sorte, dans une époque où, au contraire, on essaye de tout contrôler, de tout lisser, de tout rendre parfait. Et s’interroger sur la manière dont on peut reconsidérer les ruines, construire à partir de fragments et se tourner vers l’inattendu en apprenant à l’apprécier. Donc Glitch était une première pièce qui s’attaquait à ce sujet-là, et on voulait continuer à le questionner. On est tombé.es sur le livre Le Champignon de la fin du monde, de l’anthropologue Anna Tsing, qui traite des ruines du capitalisme. Elle parle d’un champignon qui pousse dans les forêts dévastées, et qui les aide à se régénérer. Ce champignon finit par créer autour de lui tout un écosystème économique, politique et écologique, qui naît dans les ruines de la dévastation. Cette lecture nous a inspiré.es pour travailler le corps comme un paysage : voir comment on peut construire une forme où la chorégraphie est certes là, mais elle n’est plus anthropocentrée, dans le sens où les corps ne figurent plus l’humain, mais autre chose. C’est un chouette challenge !

Samuel : Ce qui est intéressant dans ce livre, c’est l’idée de collaboration entre espèces. Le champignon crée des liens entre les gens, les règnes et les espèces. Du coup, on s’est demandé comment on peut traiter notre corps pour suggérer la présence ou la mise en scène d’autres règnes – végétaux, animaux et minéraux.

               • • •  Quelles thématiques aborde votre pièce ? • • •

Florencia : Un mot assez central pour définir Troisième nature, c’est le phénomène appelé la paréidolie. Il se produit par exemple lorsqu’on regarde les nuages et qu’on y voit des formes particulières. Plus largement, il s’agit de reconnaître du familier dans l’abstrait. Cette forme d’attention nous séduit particulièrement parce qu’elle se laisse divaguer, elle est plus libre et remet en cause la logique du progrès dans laquelle on baigne à notre époque.

Samuel : J’ajouterais l’idée de « corps-paysage », qui est vraiment un des mots-clés de la pièce, et celle d’amener le spectateur à observer autrement ce qui est mis en scène, pour qu’il puisse après poser un regard différent sur tout ce qui l’entoure au quotidien. Plus largement, ce qui est assez central dans notre spectacle, c’est que, dans la majorité du temps, on est vêtu.es de costumes assez particuliers, qui nous recouvrent complètement, même nos visages. On a découvert par hasard un tissu qui est une sorte de similicuir, comme un vinyle miroir. Sur le visuel en noir et blanc qu’on a donné à Trente Trente, qui a été pris dans la nature, on y voit une forme composée : c’est nous dans ces costumes qui reflétons l’environnement. Ils nous permettent d’oublier le corps humain, notamment parce que leur matière est particulière, elle est assez rigide et en même temps assez molle, donc cela crée des changements d’état. Cette matière nous contraint dans nos mouvements. Et dans l’ensemble, cela donne une proposition visuelle assez forte pour le spectateur, qui l’oblige presque à regarder autrement, d’emblée, et à laisser libre cours à son imaginaire.

    • • • Sur quels sujets en particulier allez-vous travailler pendant votre prochaine résidence de création au festival ? • • •

Samuel : On va vraiment faire la finalisation du spectacle. Il est prêt mais nos dernières répétitions remontent à un mois, donc il s’agira de le reprendre et de le renouer une dernière fois ensemble. Après, il y a forcément un travail d’adaptation au lieu où l’on va se produire. Comme c’est un spectacle qu’on veut « tout-terrain », qu’on veut pouvoir présenter dans des endroits de types différents, il faut qu’on puisse l’adapter. Et là, au Marché de Lerme, l’ambiance est très lumineuse : tout est blanc, et même si on ferme tout, il y a toujours un peu de lumière du jour qui passera… Donc on va voir comment on peut adapter cela au spectacle.

       • • • Selon vous, pour quelles raisons il ne faut manquer pour rien au monde cette nouvelle édition de Trente Trente ? • • •

Florencia : Le point central, ce serait que la culture a vraiment besoin, plus que jamais peut-être, des spectateur.ices, pour confirmer son rôle nécessaire dans l’épanouissement d’une société. Il faut continuer à aller voir des spectacles pour que notre inconscient et notre conscience s’ouvrent.

Samuel : Et je pense que la programmation de Trente Trente est spécialement représentative de cette idée d’assister à des spectacles différents, pour voir les choses différemment. A l’intérieur d’un même événement, pouvoir découvrir des propositions aussi variées est assez essentiel je trouve.

         • • •  L’ « après » Trente Trente, ce sera quoi pour vous ? • • •

Samuel : L’idée est de faire tourner cette pièce. On a déjà des dates de représentations en mars en Belgique.

Florencia : La période est compliquée, mais plusieurs dates sont en train de se confirmer, notamment peut-être en France. Et surtout, on a envie que cette pièce puisse tourner à la fois dans des salles et dans des espaces ouverts : on adorerait la présenter dans des forêts, sur des plages, etc. !

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Troisième nature de Samuel Lefeuvre & Florencia Demestri (Cie Demestri & Lefeuvre)

les 21 & 22 janvier au Marché de Lerme

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Le Festival Trente Trente – Les Rencontres
du 18 Janvier au 10 Février

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Programmation complète de Trente Trente

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Photo de Une © Laetitia Bica
Création graphique © Happe:n