Every drop of my blood . Cie Fluo © Quentin Geyre, Groseille Vidéo

Trente Trente 2022 ⚡ Flash portrait ⚡ Nadia Larina

Après une édition 2021 fragmentée, le festival Trente Trente revient en beauté cette année ! Mention spéciale à sa programmation, toujours plus riche, originale et éclectique.

On inaugure notre série de portraits d’artistes présent.e.s sur cette édition 2022 avec la danseuse et chorégraphe Nadia Larina, de la Cie FluO, implantée à Bordeaux. Après quelques jours de résidence à l’Atelier des Marches, Nadia y présentera les 19 & 20 janvier une étape de travail de sa nouvelle création, Every drop of my blood.

Voici le ⚡ Flash portrait (pas si flash que ça finalement…) ⚡de Nadia Larina.

                 • • • Raconte-moi ton parcours artistique • • •

Je suis née en Russie. J’ai démarré ma carrière artistique de danseuse là-bas, à 15 ans. En parallèle, j’ai fait des études de langues, et j’ai commencé aussi à m’impliquer dans la cause féministe et celle des droits humains. Puis, je suis partie en France pour découvrir le pays des droits humains justement. J’y ai rencontré des chorégraphes de danse contemporaine, en même temps que je poursuivais des études de relations internationales, parce que j’étais toujours habitée par l’idée de pouvoir peut-être changer le monde. J’ai pris conscience que je pouvais combiner les deux univers, celui de l’engagement pour la défense de sujets de société qui me touchent et celui de la danse contemporaine, qui est déjà en elle-même assez profonde, puisqu’elle porte des sujets sur la place du corps dans la société. J’ai alors décidé d’être à la fois danseuse et chorégraphe pour pouvoir m’exprimer dans mes propres créations.

En tant que danseuse interprète, j’ai travaillé avec des chorégraphes comme Carole Vergne et Faizal Zeghoudi, mais aussi Jean-Paul Goude et la Cie Shlemil Théâtre de Cécile Roussat et Julien Lubeck, avec lesquels j’ai pu voyager. En 2015, j’ai créé ma compagnie, la Cie FluO, avec le musicien Bastien Fréjaville.

Notre première création, La Zone, était un solo biographique et féministe qui s’inspire d’artistes russes : le cinéaste Andreï Tarkovski, le poète Vladimir Vyssotski et l’écrivaine biélorusse Svetlana Alexievitch, qui s’est beaucoup impliquée dans la cause des droits humains pendant les émeutes récentes en Biélorussie. Je mettais déjà en scène la figure des Femen dans ce solo parce que je le terminais en étant torse nu. J’ai ainsi commencé à utiliser mon corps comme une arme de contestation contre le monde patriarcal et hétéronormé. Notre deuxième création est un duo, Muage, qui parle des identités fluides, du corps queer, et du caractère politique de nos histoires personnelles. Il y est toujours question de l’affranchissement des codes hétéronormés, notamment par une approche organique : on essaie de montrer des corps hybrides, en mutation, préexistant au sexe et au genre, pour signifier que notre identité elle-même est fluide, changeante.

               • • • Qu’est-ce qui t’amène aujourd’hui à Trente Trente ? • • •

Il s’agit de présenter une étape de travail de notre troisième création, Every drop of my blood, qu’on a pensée comme une continuité de de la réflexion initiée avec Muage. L’idée est née pendant le confinement, et, à l’origine, j’avais imaginé un solo traitant de l’enfermement, que j’aurais intitulé Une femme à la fenêtre. Finalement, j’en ai fait un trio, mais j’ai gardé le thème de l’enfermement, en modifiant sa symbolique pour évoquer celui des corps par la société patriarcale. J’ai maintenu aussi l’idée de la transparence, suggérée par la fenêtre, en ajoutant des structures en plexiglas sur le plateau, à l’intérieur desquelles nous évoluons.

Comme sur Muage, on s’inspire beaucoup de l’écrivain Paul B. Preciado, qui est contre le cadre binaire de la société, et pour qui l’identité ne cesse de muer sans jamais se fixer. Mais cette fois-ci, on élargit nos inspirations : on utilise des témoignages sur le sujet des codes hétéronormés, du conditionnement du corps, de la binarité des genres, que l’on a recueillis auprès de nos proches mais aussi de personnes rencontrées lors d’ateliers de médiation. On peut entendre ces témoignages dans la bande sonore du spectacle, créée par Bastien Fréjaville. Et l’idée c’est que, partout où on jouera cette pièce, on puisse collecter de nouveaux témoignages, soit pour en faire une exposition en marge du spectacle, soit pour les injecter dans le spectacle lui-même, de sorte qu’il puisse toujours se renouveler.

                 

                   • • •  Quelles thématiques aborde ta pièce ? • • • 

Every drop of my blood est vraiment centrée sur la question du conditionnement du corps dans une société hétéronormée et celle de la binarité figée des genres. Depuis le berceau, on inculque à la femme et à l’homme certains comportements selon leur sexe, certains codes vestimentaires, etc., contre quoi s’élèvent aujourd’hui beaucoup de féministes de la « troisième vague », comme Judith Butler et Virginie Despentes. Elles prônent l’affranchissement de la sexualité, la libération des codes sexuels et de leur affichage, et la reconnaissance de désirs différents. Dans la pièce, on aborde ces questions politiques par le prisme de nos histoires personnelles, de ce qu’on a vécu et ce qu’ont vécu d’autres personnes, en utilisant nos corps comme médiateurs.

On explore la question de la peau aussi, notamment par le travail de la nudité – que l’on ne verra pas encore dans cette étape de création cela dit – et l’idée d’enfermement du corps à travers ces cabines en plexiglas dont nous tentons de nous affranchir. La chorégraphie elle-même figure cet emprisonnement par les changements de rythme : le mouvement se fige, puis reprend, etc.

Et enfin, on travaille sur la notion d’épuisement, dans le sens où on cherche l’engagement total du corps et la catharsis : on danse beaucoup au sol, par des mouvements très rebondis, qui nous portent, avant que la parole finisse par sortir, par se libérer. Elle est provoquée par l’état du corps dans lequel nous sommes à cet instant. A partir de là, on va plus vers le jeu théâtral – ce qu’on avait moins avec Muage , où l’on ne parlait pas par exemple. Et dans ce spectacle, la musique est également très importante : Bastien, le musicien, est sur le plateau, et, ce qui est nouveau, il dit aussi du texte.

          • • • Sur quels sujets en particulier as-tu travaillé pendant ta résidence de création au festival ? • • •

Ce mois-ci, on a eu trois jours de résidence à l’Atelier des marches, ce qui est assez court, mais on avait déjà bien profité des dix jours de résidence que l’on a eus en décembre – au même endroit. On a ainsi pu avancer plus loin que ce qu’on va montrer au public. Sinon, on a beaucoup travaillé sur tout le début du spectacle, la déambulation du public et sur ce que j’appelle le « tableau théâtral », où des extraits d’un texte de Paul B. Preciado sur la critique des normes pharmaco-pornographiques sont projetés. Ces trois jours nous ont aussi permis de nous approprier le lieu, de finir le réglage des lumières et de nous concentrer vraiment sur l’extrait qu’on va présenter. Normalement, le spectacle continuera après, à l’aide d’une transition qu’on a déjà mise en place, mais pour la représentation, on a quand même créé une autre « fin » pour marquer une sorte d’aboutissement. Aussi, c’est la première fois que je suis en dehors du plateau, même si je me laisse toujours la possibilité de jouer, puisqu’on a créé des rôles interchangeables : mercredi, je jouerai avec Alexandre et Bastien, alors que jeudi, Danaé, une autre danseuse, prend ma place – parfois, je peux remplacer Alex et danser avec Danaé. Être uniquement en dehors du plateau est une position confortable pour moi, dans le sens où je peux voir tout de suite ce qui fonctionne ou non. Donc à l’inverse, lorsque j’ai travaillé sur le plateau au cours de ces trois jours, je pouvais être entièrement dedans.

 

            • • • Selon toi, pour quelles raisons il ne faut manquer pour rien au monde cette nouvelle édition de Trente Trente ? • • •

Déjà, la programmation est très riche ! Cela fait bientôt vingt ans que ce festival existe, et il propose toujours autant de formes hybrides et intéressantes, jouées dans différents lieux de Bordeaux Métropole. Et je pense que dans le contexte actuel, où chacun.e s’est beaucoup replié.e sur soi-même, c’est important de sortir, de se nourrir en rencontrant de nouveaux.elles artistes. Par exemple, le 20 janvier, après mon spectacle à l’Atelier des Marches, la soirée continue à La Manufacture avec deux chorégraphes remarquables, Leïla Ka et Youness Aboulakoul. Je trouve que ces « parcours » sont très intéressants dans le sens où on peut assister, dans une même soirée, à plusieurs formes courtes… On n’a ainsi pas le temps de s’ennuyer ! Cela correspond un peu à notre société où l’on « zappe » beaucoup, où l’on peut passer d’une chose à l’autre très rapidement – dans le bon sens du terme. Et ces « parcours » apportent cette richesse-là. Une dernière chose : n’hésitez pas à venir voir les spectacles sans rien savoir à leur sujet, et même sans rien savoir sur la danse contemporaine ! C’est comme cela qu’on a le regard le plus pur sur un spectacle, et qu’on peut le recevoir vraiment comme une feuille blanche. Ce qui nous nourrit en tant qu’artistes, et nous (re)confirme notre rôle nécessaire, c’est d’avoir le retour du public, qui peut avoir vu des aspects de notre création auxquels nous n’avions pas pensé ou que nous n’avions pas encore conscientisés… Alors osez venir, car il n’y a rien à comprendre, il y a tout à sentir et à créer sur place !

                • • •  L’ « après » Trente Trente, ce sera quoi pour toi ? • • •

La création de Every drop of my blood aura lieu en septembre 2022 à Paris au festival « Bien fait ! », aux studios de Micadanses. On aura encore deux semaines de travail en amont, une à Dijon et une à Micadanses. On a aussi quelques dates à l’Horizon, un lieu de recherche et création à La Rochelle. Et enfin, on présentera le spectacle entier à la saison prochaine de Trente Trente !

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Every drop of my blood de Nadia Larina (Cie Fluo)

les 19 & 20 janvier à l’Atelier des Marches

Pour suivre la Cie Fluo : Facebook / Instagram / Youtube

Pour lire notre précédent entretien avec Nadia Larina (avril 2020), c’est ici

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Le Festival Trente Trente – Les Rencontres
du 18 Janvier au 10 Février

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Programmation complète de Trente Trente

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Photo de Une © Quentin Geyre, Groseille Vidéo
Création graphique © Happe:n