Antoine Delage, des clichés sans cliché

Au commencement

Originaire d’Arsac dans le Médoc, Antoine s’entiche dès l’adolescence d’un Nikon Coolpix qui appartenait à son frère. Il prend des photos partout, tout le temps, crée des mises en scène et utilise ses amis comme sujets de ses clichés balbutiants. A cette époque, il aime beaucoup passer du temps à créer des décors et des ambiances étranges dans lesquels son entourage prend la pose. Puis un jour, lorsqu’il est en classe de terminale, il fait la connaissance d’une élève de son lycée, une fille qui lui apprend que son père fait partie d’un club photographique. Elle l’invite à prendre contact avec son géniteur, qui lui fait rencontrer les membres de ce petit groupe de photographes amateurs bacalanais. Antoine se présente alors aux membres du club et le professeur qui le chapeaute flaire le talent du jeune homme, encore peu sûr de lui. 

Au fil des séances, Antoine prend du galon et se distingue par sa créativité, son sens du détail et son inventivité aux faibles limites. 

Plus tard, lors d’une des réunions du groupe, le même professeur propose à ses élèves de travailler autour de la thématique de la laïcité. Chacun des photographes en herbe doit suggérer, illustrer, représenter le sens de ce principe républicain si subtil.

Peu inspiré, le jeune homme se creuse l’esprit, il gamberge et sent que la tâche n’est pas aisée. Pourtant, il trouve l’idée de photographier une amie, doigt d’honneur fièrement levé face à son objectif, en face du panneau “sens interdit” de la rue qu’elle foule : la rue de la Liberté. 

Lors de leur réunion régulière, chacun des artistes en devenir présente son cliché. Ils échangent, philosophent et comme d’habitude, tout le monde rentre tranquillement chez lui une fois l’heure venue. Quelques semaines plus tard, le professeur propose à l’ensemble de la bande de se rendre au vernissage d’une exposition initiée par le Conseil Régional. La sortie se fait ensemble, histoire que tout le monde aiguise son œil encore néophyte et ajoute son grain de sel sur les clichés présentés. Seulement… La photographie d’Antoine “Fuck-l’interdit-rue-de-la-liberté” trône en 4×3 (peu ou prou, on n’est pas à quelques centimètres près) au milieu de l’espace d’exposition. Il découvre donc, le jour du vernissage, qu’il est exposé (et accessoirement que son talent séduit) dans cette exposition participative dont il est lauréat. Après une prise de parole furtive mais obligatoire devant le gratin bordelais, son professeur lui confesse qu’il devrait songer à faire de la photographie. 

La laïcité © Antoine Delage

© Antoine Delage

Cette parenthèse inattendue est le déclencheur de son orientation professionnelle. Arrivant à la fin du lycée, Antoine (qui a gagné une once de confiance en lui) suit la voie qui semble lui être tracée et s’inscrit à l’ETPA, une école de photographie à Toulouse. Pour être certain que cet établissement lui offrira un bel avenir, il fait le déplacement à la journée portes ouvertes organisée avant la rentrée suivante, et y fait la rencontre des élèves de première année, avec qui il lie une forme d’amitié. Ceux-ci l’aident, à coups de lettres de recommandation et conseils astucieux, à entrer dans cette école très sélective. 

Propulsé malgré lui dans ce nouvel univers, il perfectionne ses compétences dans la photographie. Au-delà des connaissances techniques qu’il acquiert sur les bases et fondements de l’image, ces deux années d’études lui permettent de rencontrer des personnes importantes et de réaliser des stages qui lui ouvrent de nouveaux horizons. 

Une fois diplômé et de retour sur Bordeaux, Antoine a des envies de voyage. Empli de grandes ambitions, il projette de partir aux États-Unis. Mais finalement, rien n’aboutit réellement et malgré ce besoin d’évasion il reste fouler le pavé bordelais. Le jeune photographe s’ennuie de la situation et tente des expériences. Il passe par la case Happe:n (oui oui, le même que celui où tu lis ces quelques lignes) pour lequel il réalise des clichés, ce qui lui permet de s’exercer encore un peu plus tout en rencontrant de nouvelles personnes.

En parallèle, il signe des contrats en freelance. Il entame alors une collaboration avec le salon de coiffure de Vania Laporte, qui lui fait rapidement confiance et lui laisse de grandes libertés dans son travail. Les créations photographiques qu’il signe pour ce salon lui permettent aussi de faire valoir son travail au travers de belles parutions dans des magazines renommés. 

Puis, il fait un passage chez Panajou, le plus vieux magasin de photographie bordelais. Alors vendeur de matériel photographique et photographe reporter d’événementiels de luxe, cette nouvelle expérience lui permet de peaufiner ses connaissances techniques sur les boîtiers, objectifs et autres accessoires indispensables au photographe. 

Antoine Delage . Photographe © Antoine Delage

© Antoine Delage

Mais toujours démangé par l’envie de changer d’air, Antoine se remet à chercher des opportunités à l’étranger (cette fois, plutôt dans des pays francophones). Il trouve alors ce qu’il n’imagine que dans ses songes : la possibilité d’une résidence proposée à Marrakech. Mais l’expérience n’aboutit elle non plus, finalement pas. 

C’en est trop pour le jeune homme qui ressent le besoin d’un changement radical. En octobre 2019, il s’exile à la capitale et entame une nouvelle vie parisienne. Le photographe désormais confirmé trouve rapidement du travail, des contrats freelance notamment qui lui permettent de vivre de son art, mais également un mi-temps dans un studio parisien qui lui ouvre la porte.

En ce moment

Toujours à Paris, Antoine continue ses activités. Il ajoute une nouvelle corde à son arc avec sa nouvelle casquette de formateur en photographie. Alors qu’il n’était, encore récemment, pas très sûr de lui et quelque peu victime du syndrome de l’imposteur, les cours qu’il dispense lui permettent de gagner encore en assurance et de considérer son travail de manière plus tendre. Il réalise alors que la transmission est quelque chose qui l’anime particulièrement : pour lui, il est toujours plus intéressant d’amener un savoir à une personne plutôt que de réaliser une mauvaise photo.

Aujourd’hui, il collabore avec des agences de photographie, une manière d’être rémunéré pour son travail et de “vivre” tout simplement. Ses projets freelance lui permettent de réaliser des clichés plus artistiques, moins conventionnels : en bref, d’accomplir des projets davantage créatifs et gratifiants.

Enfin, parallèlement à tout cela et malgré un emploi du temps déjà bien chargé, Antoine travaille sur des projets photographiques plus personnels. Il étudie des thèmes qui lui tiennent à cœur et conçoit des séries de photos qu’il présente régulièrement lors de concours et festivals. Une manière de se pencher plus en profondeur sur des questions qui le traversent.

Récemment, il a d’ailleurs travaillé sur une série qu’il a nommée 23h04, la vie d’après. Celle-ci aborde le sujet de la reconstruction de l’Estonie, dont l’indépendance a été proclamée en 1991 (après des années d’appartenance à l’Union soviétique). Même s’il s’agit d’une série de photos réalisées “sur le vif” lors d’une pérégrination qu’il y fait en 2021, c’est davantage une fresque sociale qu’un carnet de voyage. Le photographe y raconte les disparités entre générations avec, d’un côté, des “anciens” très discrets sur leurs convictions politiques, et de l’autre, une jeunesse clairement pro-Europe, considérablement engagée. L’ensemble de cette série a fait l’objet d’une projection au festival Itinéraires des Photographes Voyageurs, un événement présent depuis plus de 30 ans sur Bordeaux, une référence dans le milieu. 

Note que cette collection sera également présentée mercredi 25 mai (oui oui, la semaine prochaine, cours-y les yeux fermés – mais surtout n’oublie pas de les ouvrir lorsque tu seras face aux clichés du photographe) pour les Mercredis Photographiques à la Maison Bourbon à partir de 18h. 

Récemment, Antoine a également signé Pollen et Rouge Louise. Des séries plus intimes qui nous livrent la vision du jeune homme quant à ses représentations sur les corps féminin et masculin. 

La première s’axe davantage sur le sujet de la jeunesse, du début de la vie au travers du regard d’un jeune homme. Même si le décor fait de fleurs lui donne une forme assez légère, l’ensemble de ce travail est finalement plutôt sombre. Le photographe souhaitait mettre en relief les parts d’ombre qui existent chez chacun de nous et c’est cette confusion qu’il ambitionnait de représenter au travers des photos de la série Pollen

La seconde met en scène le corps nu d’une femme, corps sur lequel se pose une lumière rouge vif. Dans cette série, Antoine parle de la “femme puissante” qu’il oppose à la “douce masculinité”, qui ressort dans Pollen. L’ensemble de cette réflexion vient de sa manière d’appréhender l’humain. Antoine voit en la figure féminine quelque chose de très fort, presque impressionnant. Par opposition, il perçoit une certaine fragilité chez les hommes. Une vision bien loin des stéréotypes encore très présents dans notre société patriarcale. Lui qui a grandi entouré de femmes puissantes et d’hommes plus en retrait, il s’est construit une image du genre en rupture avec les codes sociétaux des dernières années et plus en prise avec les nouvelles visions qui prennent aujourd’hui de plus en plus de place. 

C’est d’ailleurs grâce à son regard sur l’identité des femmes et des hommes qu’il a pu travailler avec l’association Le Girofard à Bordeaux (structure qui accompagne les communautés LGBTQI+) pour créer La Routine Arc en Ciel, une série de photos où le “non-genre” primait. Une collection qui a remporté un trophée pour la Quinzaine de l’égalité organisée par la ville de Bordeaux, et qui a également été proposée à Poitiers (où des habitants de la ville étaient shootés puis affichés en grand format en plein cœur de la cité).

Routine Arc en Ciel © Antoine Delage

© Antoine Delage

En définitive, c’est le sujet de l’humain qu’Antoine traite particulièrement. Il fait graviter autour de cela les questions de genre et d’identité pour diffuser, au travers de son art, sa vision et ses ressentis.

À l’avenir

Un nouveau projet occupe désormais l’esprit du photographe. Lui qui est originaire du Médoc et qui a grandi au cœur de la forêt, il désire alerter tout un chacun sur le sujet de la déforestation. L’idée est encore en train de germer et pour le moment, il n’est pas question de te dévoiler une miette de cette belle série qui s’annonce. Et si je me garde bien de t’en dire plus maintenant, c’est pour que le reveal soit plus beau encore !

Rendez-vous dans quelques mois pour découvrir ce qu’Antoine nous a concocté, qui (je me permets de le rajouter) s’annonce totalement impressionnant.

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Pour suivre Antoine Delage : site internet / compte Instagram

Pour voir sa prochaine exposition : rendez-vous Mercredi 25 Mai à 18h – Les Mercredis Photographiques – La Maison Bourbon – 79 Rue Bourbon – 33 000 BORDEAUX